{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Samir Abdelkrim, fondateur de la start-up Brics, à L’Expression

«L’Afrique aussi innove...»

Entrepreneur et consul-tant, Samir Abdelkrim, est l'expert francophone de l'innovation africaine. Fondateur d'Emerging Valley, sommet international sur l'innovation africaine, il a parcouru l'Afrique pour analyser les écosystèmes numériques du continent noir. Il nous parle dans cet entretien des opportunités qu'ouvre l'après-Covid-19 à l'Afrique en général et à l'Algérie en particulier.

L'Expression: Bonjour Samir. L'incertitude plane sur les plus grandes entreprises mondiales. Du jamais-vu! C'est véritablement une 3e Guerre mondiale. Il est incontestable, cette crise bouleversera à jamais l'économie mondiale. Mais l'Afrique dans tout cela?
Samir Abdelkrim: L'économie internationale et les échanges en premier lieu, dont l'Afrique est si dépendante, sont en train de s'affaiblir considérablement. La société civile africaine est, on le voit très fortement impactée par cette pandémie, avec un impact sanitaire et social très fort.
Il est toujours très difficile de mettre en place des confinements dans ces sociétés où le travail informel est à la base de l'économie: il y a moins d'argent dans le système et on peut s'attendre à ce que beaucoup de gens perdent leur travail. Cela étant dit, une fois encore l'Afrique étonne et dément les prédictions de médias largement catastrophistes à son sujet: la catastrophe annoncée ne s'est pour l'instant pas produite et le continent résiste bien mieux qu'attendu.
On peut donc garder espoir et si l'on regarde les statistiques aujourd'hui, l'Afrique compte autour de 1% de malades et de morts de la planète, avec 37 000 cas recensés et 1 600 décès, alors qu'elle représente pourtant 17% de la population mondiale.
On connait bien sûr les arguments du climat et de la démographie, avec un virus qui prospère davantage dans les milieux tempérés et s'attaque avant tout aux personnes âgées.
Mais ce ne sont pas les seuls facteurs et les gouvernements africains ont également été partout très prompts à mettre en place les mesures barrières, à décréter la fermeture des frontières dès les premiers cas confirmés et parfois à mettre en place des couvre-feux ou confinements.
J'en suis convaincu, l'expérience d'Ébola pèse également dans la balance, avec tout un ensemble de protocoles sanitaires, de mesures de diffusion de l'information auprès des populations et de systèmes d'alerte rapide déjà acquis par ces sociétés. Autant d'initiatives qui sont d'ailleurs très souvent portées et amplifiées par la Tech!

Comment le coronavirus est en train d'impacter l'écosystème Tech en Afrique?
L'impact est réel. Les écosystèmes Tech ne sont pas isolés du reste de l'économie et, bien au contraire, leurs start-up dépendent souvent des carnets de commande des PME, qui sont en première ligne face au risque de casse sociale. Mais concernant la Tech, il y a au-delà de l'économie réelle un aspect macroéconomique très important qui conditionne l'appétit des différents investisseurs et risque de très fortement affaiblir la capacité à lever des fonds des start-up africaines. Chaque mois de confinement pourrait se traduire par plusieurs mois de rattrapage et certains investisseurs réputés comme Tomi Davies, à la tête de l'African Business Angels Network, estiment que «plus de 80% des start-up africaines vont être impactées très négativement, voire ne pas s'en relever». Le virus affecte en effet uniformément le continent, avec des pays comme l'Algérie où les levées de fonds sont moindres, mais également des États comme le Nigeria qui a attiré d'importants volumes de fonds en 2019. Néanmoins, le formidable élan de solidarité et de réactivité démontré par la Tech africaine dans la lutte contre le Covid-19 pourrait changer la donne pour certains pays, et plus encore pour certains secteurs qui font preuve d'une résilience inédite. La Fintech, notamment qui innove et participe aux gestes barrières via la généralisation du Mobile Money, laisse penser que des pays comme le Kenya, pionnier du paiement mobile et dont le go-to-market s'est fait dès 2007 quand en Europe cela piétine encore, pourraient tirer leur épingle du jeu.

Cette pandémie n'est-elle pas une aubaine pour le continent afin de rattraper le retard, notamment en matière de Tech?
Comme j'ai pu le préciser plus haut, on constate effectivement un dynamisme accru des écosystèmes Tech à la faveur de la crise, et c'est le propre des entrepreneurs: s'adapter, quoi qu'il en coûte, pour la survie, chacun, de son projet. J'ai cité la Fintech, qui s'est engagée pour «hacker» la progression de la catastrophe sanitaire en coupant les chaînes de transmission grâce à l'adoption en masse du paiement mobile, mais c'est le cas de bien d'autres secteurs. Face au Covid-19, l'Afrique toute entière démontre plus que jamais son sens de l'innovation numérique avec des initiatives de terrain lancées par des communautés d'innovateurs qui «entrent en résilience» pour lutter contre ce fléau global. Partout, des solutions de dématérialisation émergent pour protéger les populations en leur permettant de poursuivre leur vie quotidienne en ligne avec en première ligne le secteur de la ED-Tech, qui se mobilise pour un accès continu à l'éducation avec de très nombreux apprentissages gratuits sur Internet. Et puis, naturellement, les biotech et la E-Santé, qui s'affirmaient déjà avant la crise sanitaire pour pallier les carences du secteur public en la matière en Afrique, et redoublent d'ingéniosité et de résilience depuis l'arrivée du coronavirus. À Lomé, Alger, Ouagadougou ou Lagos, on ne compte plus les Healthtech à avoir développé des modules dédiés au Covid-19 pour informer, rassurer et protéger les citoyens tout en permettant de désengorger les services sanitaires comme Brenco en Algérie, Diagnose-Me au Burkina ou Izili au Sénégal. Des plateformes numériques sont créées pour recenser les lits d'hôpitaux et équipements disponibles au Kenya et au Nigeria tandis que des applications de partage de connaissance et d'expérience ont été mises à la disposition des médecins comme Rema, le Réseau d'échange entre médecins africains actif dans huit pays du continent. La digitalisation semble globalement avoir gagné les pratiques traditionnelles et on assiste à une généralisation de la télémédecine et des consultations en ligne en Afrique du Sud et au Nigeria.

Quelle est donc la plus grande bataille à mener?
Puisque vous parlez de «rattrapage Tech», la plus grande bataille à mener en matière numérique sur le continent demeure celle de la connexion Internet, si cruciale en ces temps de confinement. L'Afrique concentre aujourd'hui les plus bas taux de pénétration Internet au monde, tous situés sous la barre des 50% selon le Digital report 2020 réalisé par We Are Social et Hootsuite. Comme le proclame si bien Erik Hersman, fondateur de Brck: «On ne peut pas faire partie de l'économie mondiale du XXIe siècle sans connexion Internet, et plus la fracture numérique est importante dans un pays et plus les retards vont se cumuler». Je partage complètement sa vision et des solutions existent pour cela, qui permettent un accès gratuit à Internet pour les plus pauvres: Brck le propose déjà à plus de 2 millions de personnes, et devrait multiplier son réseau par 5 dans les 2 prochains moins. Voici un réel moyen pour l'Afrique de rattraper son retard, et il faut financer le déploiement de telles solutions à grande échelle.

Selon vous, quels sont les secteurs à prioriser à la fin du Covid-19?
La crise mondiale que nous vivons doit nous pousser à revoir nos priorités, à coconstruire et à développer les partenariats nécessaires pour renforcer la résilience de nos sociétés, pour une réflexion qui devra être portée par le digital. À mes yeux, le Covid-19 est déjà à l'oeuvre vers une transformation durable de nos comportements. Les innovations portées par la Fintech pour lutter contre la propagation du virus, notamment ont déjà induit des mutations en Afrique où l'on assiste à un basculement profond des usages en direction d'économies intégralement cashless. La réduction drastique des tarifs de transaction décidée par les leaders du Mobile Money tels que M-Pesa,Orange Money ou Jumia-Pay pourra difficilement être renversée et les utilisateurs modestes continueront certainement à bénéficier de cette nouvelle économie de la bienveillance.

Et les bailleurs internationaux?
La mobilisation globale des bailleurs internationaux et des gouvernements vers une «Économie sociale et solidaire» doit s'inscrire dans la durée pour protéger nos sociétés. Il convient de saluer l'agilité des États africains, dont beaucoup sont parvenus à mettre en place en des temps record des «Revenus universels de solidarité» propulsés par le Mobile Money. Pour venir en aide aux travailleurs des secteurs informels, ce sont plus de 50 pays en développement qui ont débloqué des mesures de «cash transfer», à l'instar du Togo, où plus de 420 000 Togolais issus du secteur informel ont déjà reçu des transferts mensuels individuels de 15 à 20 euros. Ces nouveaux réflexes, qui esquissent des premiers filets de sécurité sociale dans des pays qui n'en avaient pour la plupart jamais connus, devront absolument être pensés dans la durée. La Tech a ainsi montré que beaucoup de choses qu'on pensait impossibles étaient, en fait totalement réalisables et ce en un temps record!

Que doit-on capitaliser pour l'après- Covid 19?
Une autre priorité selon moi, qui s'impose, sera le retour au local et aux solutions de terrain. Ce pouvoir transformatif du numérique sur les sociétés et cette capacité de résilience face à la crise ont en effet été on ne peut mieux incarnés par les communautés de Makers. Elles qui se sont mobilisées à travers la planète pour venir en aide aux personnels soignants et autres combattants du front pour les équiper en gel, masques et respirateurs fabriqués dans leur FabLab et autres PrintFarm. De l'université de Pretoria au mouvement congolais «Masques pour tous», en passant par les makers algériens et marocains ou les étudiants tunisiens, la fabrication en 3D de masques et de pièces de respirateurs est devenue aussi virale que le Covid-19 sur le continent!Les premiers bénéficiaires en sont les gouvernements et les services de santé, qui vont à n'en pas douter revoir les chaînes d'approvisionnement de leurs filières stratégiques dans les années à venir, ce qui ne peut être que de bon augure pour l'emploi local.

Vos recommandations pour faire de ce malheur un...bonheur?
La planète entière est sur pause, et plus de la moitié de l'humanité est confinée. Cette période inédite est le moment de revoir nos habitudes, de réfléchir à ce qui peut être amélioré, transformé, disrupté! Une réelle opportunité pour les innovateurs et les entrepreneurs donc! Selon moi, il faut profiter de cette parenthèse pour ralentir: lire énormément, apprendre, se former, prendre du recul...
Mais aussi, paradoxalement, pour accélérer! S'investir à 200% dans des projets à impact, qui créent du lien et de la résilience dans nos sociétés, échanger à travers le monde sur les expériences de chacun pour enrichir la réflexion collective et préparer une sortie de crise dépoussiérée de tout le superflu, qui se concentre sur l'essentiel et l'important dans nos vies, pour nos entrepreneurs et nos start-up.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours