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Pierre Amrouche, fils de Jean El Mouhouv Amrouche, à L'Expression

«Mon père était le porte-voix des opprimés»

Pierre Amrouche est le fils de Jean El Mouhouv Amrouche. Antiquaire spécialisé en art africain et expert en art primitif et art populaire, il a rédigé de nombreux catalogues de collections et des articles sur les arts primitifs.

L'Expression: Illustre intellectuel, véritable universaliste, Jean El Mouhouv Amrouche était proche du général de Gaulle, de Ferhat Abbas, de Krim Belkacem et du GPRA. Pourriez-vous le confirmer, vous qui détenez des documents à l'appui?
Pierre Amrouche: Mon père, Jean El Mouhouv Amrouche, n'a besoin de personne pour justifier ce qu'il a fait pour son pays, l'Algérie, sans m'étaler sur d'autres questions aussi nobles. Toutefois, le professeur Tassadit Yacine a à sa disposition des archives de mon père concernant le FLN-GPRA, De Gaulle et son gouvernement. Un livre, signé par Tassadit et par moi-même, permettra au grand public de connaître Jean El Mouhouv Amrouche: un ami, un proche, du général de Gaulle, de Ferhat Abbas, de Krim Belkacem, d'Abderrahmane Farès, de Benyoucef Benkhedda, de Réda Malek, etc. Il connaissait et était connu de toute la délégation du GPRA chargée de négocier avec le gouvernement français. Moi-même, âgé alors de 10 à 11 ans, j'avais rencontré plusieurs cadres du GPRA en Suisse. De temps à autre, mon père m'y emmenait. Je me souviens surtout d'Abderrahmane Farès avec lequel il était ami. Aujourd'hui, les archives sont plus facilement accessibles et consultables. Sur le Net, il y a suffisamment d'archives mises en ligne et disponibles, on peut même entendre sa voix. De plus, plusieurs recherches universitaires et publications concernant Jean El Mouhouv Amrouche ont été réalisées en France comme en Algérie ou ailleurs, notamment ces dernières années. Son combat et son oeuvre le décrivent largement 60 ans après sa mort, soit 60 ans après l'indépendance de l'Algérie, on parle encore de lui. Il faut dire que sa vie et son oeuvre sont intimement liées à cette histoire algéro-française, aussi belle que cruelle en même temps.
L'engagement de Jean El Mouhouv Amrouche pour toutes les causes justes en général et en particulier pour celle de la décolonisation a toujours été présent, quelles que soient les conséquences à subir. Il avait été plusieurs fois victime de la censure pour ses articles. Pour l'exemple, je peux citer l'un de ses textes L'Algérie restera-t-elle française , écrit fin 1944, censuré pour son titre, jugé subversif. Néanmoins, le texte a été publié en 1946, avec un autre titre L'Afrique restera-t-elle française, puis par Tassadit Yacine Un Algérien s'adresse aux Français. Jean El Mouhouv Amrouche était le porte-voix des opprimés et des colonisés.
Et au cours de la guerre d'Algérie? il a été également évincé de la radiotélévision française en 1959 pour ses positions en faveur de l'indépendance de l'Algérie. Ses articles, ses publications, ses émissions radio...etc. illustrant ses positions, ont foisonné depuis les années 1940 jusqu'à sa mort, le 16 avril 1962. Il faut aussi souligner que Jean El Mouhouv Amrouche a évolué dans un monde des médias, des artistes, des intellectuels, des politiques des deux rives, je veux dire l'Algérie et la France, en guerre. Il était proche des élites intellectuelles qui manifestaient et dénonçaient le colonialisme français en Algérie, en Afrique et ailleurs dans le monde. Il était d'ailleurs membre honoraire de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, depuis 1958.

Selon vous, quels sont les cadres du FLN avec qui il avait le plus d'affinités? Est-il prouvé qu'il fût plus proche de Krim Belkacem, Ferhat Abbas ou d'Abderrahmane Farès?
Effectivement mon père, Jean El Mouhouv Amrouche avait connu Ferhat Abbas, en Algérie durant les années 1940. À cette période, ce dernier était chef d'un parti politique, l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Les deux hommes avaient une grande culture politique, un niveau d'étude élevé et beaucoup d'idées communes. Puis, ils se sont rencontrés plusieurs fois durant la guerre d'Algérie à Tunis et au Maroc alors que Ferhat Abbas était président du GPRA. Ils s'aimaient beaucoup et sont restés en contact jusqu'à la mort de mon père en 1962. Ils se voyaient, ils s'écrivaient et ils se téléphonaient. D'ailleurs, il faut rappeler qu'à sa mort, Ferhat Abbas lui avait rendu un vibrant hommage: «Avec la mort de Jean Mouhouv Amrouche, l'Algérie avait perdu l'un des meilleurs de ses fils. Par sa haute culture, il nous faisait honneur et faisait honneur à cette Kabylie riche de coeur et de fierté. Aujourd'hui, sa place reste vide. Personne autant que lui ne pouvait servir de trait-union entre la chrétienté et l'islam, c'est-à-dire entre le peuple français et le peuple algérien. En le perdant, nous avons perdu le meilleur ambassadeur de l'humanisme et de la fraternité.».
S'agissant de la relation avec Krim Belkacem, cette dernière a vu le jour à partir de 1956, en pleine guerre d'Algérie. Ils se sont très souvent rencontrés à Tunis, au Maroc et en Suisse. Ils ont alors noué une forte relation, avec du respect mutuel, des échanges de points de vue sur la guerre de libération et sur d'autres sujets d'actualité. Les deux avaient ce «Nif kabyle», la dignité propre aux fils du Djurdjura. Ils s'entendaient plutôt bien, aussi du fait que Jean Amrouche avait beaucoup travaillé avec Krim, et d'autres responsables du FLN et du GPRA, comme l'attestent des documents officiels signés par Jean El Mouhouv Amrouche: des rapports, des comptes rendus, des notes de conversations, des notes d'entretiens et des réunions de travail du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) à Tunis et au Maroc. N'oublions pas que Jean Amrouche avait ses accréditations signées par le GPRA. Beaucoup de ces éléments sont en ma possession et feront l'objet d'un livre qu'on publiera prochainement avec le professeur Tassadit Yacine.
Ensuite à partir de l'année 1958 à Tunis mon père prenait toujours part aux réunions de travail du GPRA, ce qui explique ses très nombreux voyages dans cette ville. C'est la même année que la relation entre mon père et Krim Belkacem devenait encore plus forte et régulière et ce jusqu'aux accords d'Évian du 18 mars 1962, soit jusqu'à la mort de mon père, le 16 avril 1962. Je dirai que cette entente entre, Krim Belkacem en particulier, Jean El Mouhouv Amrouche et le FLN en général s'expliquait, notamment par l'évolution des événements de la guerre de libération et aussi par la position de Krim Belkacem en tant que chef de la délégation du FLN pour conduire les négociations avec la France. Ironie du sort, Jean El Mouhouv Amrouche mourra quelques jours après la signature des accords d'Évian et quelques jours avant la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962.
À la mort de Jean Amrouche, le signataire des Accords d'Évian lui a rendu un vibrant hommage. Affecté par la disparition de Jean El Mouhouv Amrouche, il déclara: «Le peuple pleure Jean Amrouche car il vient de perdre en lui non seulement l'un de ses fils parmi les plus prestigieux, mais aussi l'homme de lettres, le journaliste, qui par ses écrits cria à la face du monde, le prenant à témoin, l'humiliation, les conditions de vie atroces, végétatives quasiment animales faites à son peuple par le colonialisme. Pacifiste, il dénonça avec vigueur et inlassablement la féroce répression qui décimait notre pays.». Et de souligner: «Jean Amrouche vit le jour au pied du Djurdjura, il répétait toujours qu'il s'agissait d'une affaire de Nif; c'est-à-dire d'honneur et de sang, résumant d'une phrase la grande raison de notre combat et l'immensité des sacrifices consentis (...) il peut reposer en paix, nous avons retrouvé notre Nif, notre dignité. Jean Amrouche demeurera dans notre mémoire l'exemple de ce que notre peuple recèle comme génie et possibilité.».

Quel était le rôle joué par Jean El Mouhouv Amrouche durant les accords d'Évian?
Jean El Mouhouv Amrouche était un proche du général de Gaulle, il était même qualifié d'un de ses conseillers intimes sur la question algérienne, les deux se connaissaient bien et se comprenaient en dépit de leurs différends sur la question algérienne. Néanmoins, je dirais que ces différends avaient renforcé leur relation. Depuis 1944, Jean Amrouche n'avait cessé de dire à De Gaulle que l'Algérie ne resterait pas française. Je pense que De Gaulle avait réalisé que tôt ou tard l'Algérie serait algérienne, libre et indépendante. C'est à partir des massacres du 8 mai 1945 que Jean Amrouche avait compris qu'il n'y aurait pas un destin pour une Algérie française et que les Algériens qu'on appelait les indigènes étaient plus que jamais déterminés à lutter pour le recouvrement de leur indépendance. Ainsi, il publiera l'Eternel Jugurtha, publié en 1946. Cela constitua une prise de position intransigeante de Jean El Mouhouv Amrouche contre le colonialisme en Algérie en particulier et africain en général. L'indépendance de l'Algérie est devenue évidente, une armée révolutionnaire et un peuple conduits par un gouvernement provisoire, passant sur le plan diplomatique d'une victoire à une autre. De plus, il y avait de l'autre côté le retour du général de Gaulle au pouvoir à partir de 1958. De Gaulle avait surtout compris et était foncièrement convaincu qu'en dépit de tout; la grandeur de la France avec ses valeurs aussi soient-elles ne peut se réaliser sans se mettre dans le cours de l'histoire de la décolonisation et de la restauration de la République.
Dans sa lettre du 22 mars 1957 à Jean El Mouhouv Amrouche, le général de Gaulle a écrit: «Mon cher Jean Amrouche, comment oublierais-je que vous fûtes mon compagnon quand c'était méritoire.». Le général de Gaulle savait de quoi il parlait. Ils s'étaient déjà rencontrés dans des moments cruciaux de l'histoire de la France et avaient oeuvré ensemble, en Algérie, pour le même idéal, la liberté. Une première fois dans le cadre de la résistance française alors que De Gaulle en était le père, puis pendant la guerre d'Algérie. Les deux amis s'y rencontrèrent pour la deuxième fois. Et à partir de 1957 jusqu'à sa mort, Jean Amrouche parlait clair, précis et concis. Il avait plaidé ouvertement la cause algérienne, avec énergie, à la radio suisse romande (Lausanne et Genève). Ainsi, dans une interview à la radio Genève en 1957, Jean Amrouche déclarait: «J'espère que le général de Gaulle établira des négociations avec le Front de Libération nationale algérien.». Pour l'histoire, mon père avait su préserver et garder si précieusement tous les échanges, les rapports, les suggestions faites par la France et celles faites par l'Algérie tout au long des négociations, allant de celle de Melun aux accords d'Évian.
Le FLN et ses chefs connaissaient la relation forte partagée par le général de Gaulle et Jean Amrouche. Ils étaient conscients de son rôle intellectuel et de son apport au mouvement national algérien et à sa guerre de libération. Peut-on penser que, en raison de son engagement intransigeant aux causes justes et l'amour qu'il vouait pour l'Algérie et la France, n'avait-il pas écrit et crié: «Si la France est l'esprit de mon âme, l'Algérie est l'âme de cet esprit», ou encore: «Je pense et j'écris en français mais je pleure en Kabyle.». Jean Amrouche pouvait être celui qu'il fallait au FLN et à la France pour communiquer? Par ses origines kabyles algériennes, par son rôle de journaliste et par sa proximité avec les mondes intellectuel, politique et civil, mais également de par son statut d'Algérien, de Français, de Maghrébin, d'Africain et d'Occidental, on pouvait voir en lui l'homme du gouvernement provisoire de la République algérienne et du gouvernement français. Il était une sorte de miroir aussi bien pour les Algériens que pour les Français. Il pouvait constituer à lui seul, la passerelle entre la France et l'Algérie, en quête d'une solution finale. Ainsi, il avait accepté de servir de trait d'union entre les Algériens et les Français pour contribuer à faire renaître la paix et la justice en Algérie. «Je suis le pont, disait-il, l'arche qui fait communiquer deux mondes sur lequel on marche.». D'ailleurs au lendemain de la signature des accords d'Évian, le général de Gaulle, conscient de la maladie grave et l'absence de mon père durant l'événement, lui avait écrit dans l'une de ses dernières lettres le rassurant: «Voilà enfin: le combat pour lequel vous vous sacrifiez est réalisé. La France et l'Algérie sont décidément en paix et le peuple algérien est libre et indépendant.». 

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