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LES ABYSSES DE LA PASSION MAUDITE DE BADR'EDDINE MILI

La pathologie de la folie furieuse...

Quand la passion devient déraison, elle s'achève en tragédie, inéluctablement.

Et quand, plus largement, son caractère souverain atteint les profondeurs infinies de la démesure sauvage de ses ambitions, elle use de cette sorte de quintessence morbide pour anéantir l'être humain. Badr'Eddine Mili s'est proposé de le démontrer dans son ouvrage intitulé Les Abysses de la passion maudite (*) par lequel il clôt sa trilogie commencée avec La Brèche et le Rempart (2009) sur le thème de la «guerre de libération» et Les Miroirs aux Alouettes (2011), une évocation assez instructive de «la désillusion de l'indépendance».

Un gouffre au pluriel
Dans le présent volet, Badr'Eddine Mili ne fait pas le récit d'une romance ou de quelque passion liturgique. Il étudie l'effet d'une guerre civile, la souffrance horrible subie par le peuple algérien durant la décennie noire commencée en 1990 et, a contrario, il révèle la juste et héroïque réplique nationale, c'est-à-dire le sursaut spontané des forces populaires et sécuritaires institutionnelles dans la solidarité et l'unité. L'esprit de Novembre 1954 contre le colonialisme a été ainsi revivifié et réactivé contre les dérives de toutes sortes commises par la terreur et le crime dont on constate, actuellement dans le monde, des spécimens qui augmentent les échelons supplémentaires dans la hiérarchie des supplices qui précèdent ou accompagnent la mort. Dans Les Abysses de la passion maudite, il s'agit de «la grande déchirure de la société algérienne intervenue dans ces années-là». Cette «passion maudite» n'appelle aucune analogie, ni liturgique ni même littéraire.
Badr'Eddine Mili la transcrit, en son état réel. Il l'analyse avec une subtile économie de mots, à la mesure de sa sensibilité et ses convictions, à travers le vécu d'«une famille constantinoise» et cette «passion maudite» telle qu'elle vise à l'anéantissement de l'être humain. Là, on retrouve l'appréciation de l'auteur qui n'a jamais cessé d'être le militant des causes justes et l'analyste serein des tribulations de la vie algérienne, puisqu'il est journaliste et s'inspire de son expérience acquise dans différentes fonctions importantes «au sein des médias publics et des institutions de l'État».
Il faut reconnaître que trop souvent ce qui est parfaitement vrai paraît absurde, c'est-à-dire invraisemblable, voire impossible. Aussi, le roman, mieux la fiction serait-elle plus forte que le récit de la réalité historique? Pourquoi non? Il est un proverbe chez nous qui dit: «Ne ressent le feu d'un morceau de braise que celui qui met le pied dessus.» Effectivement. Voyons donc l'ouvrage Les Abysses de la passion maudite de Badr'Eddine Mili. En quelque sorte, regardons sans y tomber. En effet, ce gouffre au pluriel ressemble aux profondeurs des mers et océans. Une histoire, aussi vraie que possible, pour raconter les «tribulations» d'un héros malgré lui, nommé Stopha, issu extraordinairement d'un fait historique, structuré déjà pleinement par un certain Maher qui vaque «dans une maison coloniale emplie d'une ambiance de fin de règne, la marque des lieux abandonnés». Tout au long du récit l'action avance et se replie, et de nouveau avance et de nouveau se replie. C'était le temps du tout début de l'indépendance. Et nous sommes à Aouinet-El-Foul, lieu quelque peu mythique, s'il en est, où, au reste, il «était traversé par de fortes tensions en course pour le contrôle de Constantine, l'issue pressentie par tous étant tenue pour très proche et certaine.» Ce Maher n'est pas n'importe qui. On le saura bien vite. «Les plus inspirés disaient qu'il s'agirait d'un commissaire politique envoyé de Mostaganem pour préparer le référendum sur l'autodétermination.» Eh bien, qu'a-t-on à répondre à celui qui est du «Nidham»? Stopha a pour ce «responsable» une vive admiration pour «les idées ésotériques, un mélange de marxisme et de franc-maçonnerie détonnant avec le milieu conformiste du quartier habitué aux idées reçues pour un usage perpétuel». L'air du temps se complique davantage, lorsqu' «Une Mata Hari en mission secrète?» apparaît; «Cette femme d'une élégance peu coutumière, une lavallière autour du cou et une grosse camée au doigt, tout d'une Européenne excentrique devenue la cible idéale des fetwas lancées par ´´Ismaïl Yacine´´, le derviche local, pourfendeur de la francophonie et de tout ce qui rappelait un ´´Occident défait par l'Islam´´, comme il aimait à en répandre le message sous le masque de la loufoquerie qu'il affectionnait.» L'intérêt du livre de Badr'Eddine Mili est ainsi lancé et court jusqu'au point final.

La trahison du «sel partagé»
Cette période difficile est décrite point par point et prédispose la suite des événements qui vont se succéder par avalanches infinies: apparition d'aventuriers fanatiques, des rancoeurs, des sentiments d'injustice,... la société désabusée, se sent trahie par une politique de demi-mesure. Le malheur s'abat sur toutes les consciences et les consciences, ras-le-bol, apprennent à se réarmer de courage, et se révoltent au grand jour, face aux assassinats quotidiens... Stopha se réveille en plein milieu de la place de la Liberté, en effervescence contre la tyrannie de l'irrationnel. Badr'Eddine Mili expose les faits par métaphores singulières et des raccourcis forts suggestifs. Il y a de quoi pour que bientôt Stopha devienne l'homme aux cheveux blancs... il aura eu, auparavant vécu une centaine de vies dans différents domaines de l'Algérie en évolution constante, et en perpétuel commencement. Passent alors ou repassent des souvenirs de caractère multiple: l'époque des pieds-noirs, avant et après «la Mitidja», «les vignobles de la Trappe, l'ancien fief de Borgeaud», «...de là «à rêver d'imiter le Dr Simeray, percevoir ses honoraires à l'aide de pincettes métalliques stérilisées,...» et tant d'autres étrangetés illustrées par «tous les ingrédients de la revanche des enturbannés sur la Révolution étaient réunis» et que «l'effondrement imminent du Nidham n'était plus une vue de l'esprit». Une espèce de kaléidoscope va enchaîner le mouvement des êtres et des choses, et particulièrement des lieux où se déroulent des scènes de théâtre tragique, - et tout en allusions et en images spécifiques de la tragédie, telle - par ailleurs - celle de l'assassinat par ²des terroristes d'une enseignante, épouse d'un comédien que la douleur a fait crier ces mots poignants puisés dans le bon sens paysan et exprimés à l'aide d'une figure de rhétorique populaire puissante: «Dans les abysses de quelle passion maudite les faucheurs de blé en herbe ont-ils été cherché le levain d'une telle haine accouchée pour étouffer le premier sourire d'un jour nouveau et l'enfourner dans la géhenne de la trahison du sel partagé?»
Il s'agit d'un véritable vécu du peuple durant la décennie noire... ou rouge. Dans ce court récit (149 pages) - mais dont le pouvoir est long -, l'amour de la patrie est constant et plein d'humilité. Si l'on peut y voir une légende, ce serait un éloge fait à l'auteur d'avoir écrit cet indispensable complément à sa trilogie avec autant d'enthousiasme que de sérieux. Car traverser environ soixante-dix ans d'histoire de l'Algérie n'est pas un jeu de simple plaisir d'apprendre et de faire apprendre, mais un exercice éminemment utile et pourtant périlleux et grave par les embuches et les ornières que l'on y rencontre, à l'évidence, par les incertitudes de l'Autre, le lecteur attentif et surtout exigeant, aussi. En outre, et c'est capital dans ce genre de roman qui n'est pas, encore une fois, une romance, l'objectivité qui réclame le déterminisme des faits, le libre arbitre des personnages et la cohérence de l'action et de la trame du récit, tirent l'oeil à juste raison.
Il y a ici, me semble-t-il, un devoir accompli. Sans doute, n'est-il pas entier. Pourtant, à côté d'autres semblables, présents ou futurs, il permet une vision claire, sereine et pleine de la connaissance à faire apprendre à la jeunesse d'aujourd'hui et à la suivante. L'histoire de notre pays, celle de tous les temps, mais, particulièrement, celle de maintenant qui n'est pas fixée, qui reste encore à défricher, mérite l'attention de nos chercheurs. Toute recherche est bonne à prendre dès lors qu'elle aborde l'événement et relance de nouvelles recherches. Il faut espérer, il faut agir dans le sens du progrès vers lequel l'Algérie, comme les grands pays modernes, se propose d'aller pour exister dans l'oeuvre universelle qu'écrivent les peuples vivants, libres et créateurs de bonheur. En cela, notre pays est bien nanti en intelligences humaines. Il ne reste que le bon vouloir des saines responsabilités à engager les cerveaux et les bras disponibles, car l'Algérie est un immense chantier où chacun peut vivre heureux. En somme, il faut donner à l'espoir son creuset de vie. Il est temps, grand temps de donner aux millions de Stopha qui, ainsi que l'écrit Badr'Eddine Mili, désirent «gagner de nouvelles destinations avec celui que le ciel avait comblé de sa prodigalité, à l'âge où les enfants n'étaient pas encore sevrés du sein de leur mère...».
Et l'auteur termine Les Abysses de la passion maudite avec cette image intense et mirifique: «Stopha pressa le pas, il avait hâte de rentrer à Dar-El-Misk, sa nouvelle adresse, une maison blanche dont il avait planté les piliers entre terre et mer, sur la route de l'antique Césarée... Maintenant, il avait de quoi s'occuper pour l'´´éternité´´. Le temps avait-il, enfin, réglé son pas sur le sien?...» Tant que Stopha est vivant, l'espoir est permis, un adage le présuppose. «Ellî hayy, rezqou hayy, Celui qui vit, sa fortune est vivante.»

(*) Les Abysses de la passion maudite de Badr'Eddine Mili, Éditions Chihab, Alger, 2015, 149 pages.

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