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Paul Max Morin, doctorant au Cevipof - Sciences Po- Paris

«Il n'y a pas en France de transmission des haines»

La guerre des mémoires n'a pas cours en France. Les familles affectées par la guerre, quelles qu'ellent soit, ont principalement transmis des récits intimes. C'est l'une des conclusions d'une enquête réalisée par Paul Max Morin, qui revient dans l'entretien qu'il nous a accordé sur le ressenti qu'ont les descendants des acteurs de la guerre d'indépendance. À l'entendre, la réconciliation est très possible.
voici son explication...

L'Expression: Dans votre dernier livre: Les jeunes et la guerre d'Algérie, une nouvelle génération face à son Histoire, vous avez souligné que: «39% des jeunes Français ont un lien familial avec la guerre d'Algérie». Que pensent-ils ces jeunes de la colonisation française de l'Algérie et de la guerre d'Algérie?
Paul Max Morin: Les jeunes Français dans leur grande majorité connaissent mal cette histoire. Cette dernière est souvent réduite à sa dimension violente et conflictuelle. Néanmoins, les jeunes ayant une histoire familiale avec la guerre, qu'ils soient descendants d'appelés, de pieds-noirs, de juifs d'Algérie, de harkis, de militants pour ou contre l'Indépendance, connaissent beaucoup mieux le sujet car la transmission dans les familles a fonctionné. Ces jeunes, indépendamment de leurs histoires familiales, partagent une vision au final assez consensuelle du passé colonial: ils portent un regard critique sur la colonisation, légitiment l'indépendance de l'Algérie et expriment une bienveillance envers les différents acteurs du conflit. Si l'histoire familiale peut expliquer la forme ou le contenu de certains récits transmis en famille, le jugement sur le passé est davantage déterminé par l'orientation politique. C'est-à-dire que les descendants d'Algériens et de Français d'Algérie peuvent, aujourd'hui, partager un même jugement sur le passé. Mais les jeunes de gauche, de droite ou d'extrême droite peuvent avoir des visions opposées de cette histoire.

Sur la base «d'une enquête auprès de 3 000 jeunes âgés de 18 à 25 ans et après une centaine d'entretiens avec des petits-enfants d'appelés, de pieds-noirs, de harkis, de juifs d'Algérie, de militants au FLN ou à l'OAS», que représentent pour eux les accords d'Évian, signés entre l'Algérie et la France?
Pas grand-chose. Les accords d'Évian sont peu connus par les jeunes en soi, même si le 19 mars 1962 est un des noms de rue le plus donné en France, car il est pour les anciens appelés un jour important et ces derniers furent nombreux et présents dans tous les villages de France. Souvent les jeunes ne savent pas relier cette date à la fin de la guerre d'indépendance algérienne. Cette date n'est pas un jour férié et les écoles et les institutions sont moins mobilisées sur des projets pédagogiques que pour le 11 novembre ou le 8 mai.
Au-delà de la date et des accords d'Évian, la fin de la guerre d'Algérie et la fin de la colonisation restent perçues comme légitimes par la très grande majorité des jeunes. C'est la fin de ce qui est vu comme une anomalie. Pour certaines familles, l'Indépendance de l'Algérie a néanmoins impliqué l'exil, le déplacement, l'immigration et donc une forme de rupture et de douleur. Mais les jeunes descendants ne sont pas porteurs de cette douleur. Ils savent tout simplement que ces évènements ont pesé sur l'histoire familiale et ils sont curieux d'en savoir plus, d'entendre leurs grands-parents, de comprendre en quoi la rupture avec l'Algérie a bouleversé les destins et transformé la France.

N'est-il pas l'heure pour que le 18 mars 1962, la signature des accords d'Évian, soit déclaré jour férié ou enseigné dans les écoles de la République pour mieux éclairer ses enfants sur leur passé?
La guerre d'Algérie est aujourd'hui plutôt bien enseignée à l'école et cela depuis 1983. Les jeunes y sont exposés à plusieurs reprises dans leur scolarité. Ils connaissent les fondamentaux, c'est-à-dire les principaux acteurs de la guerre et l'enjeu de la décolonisation. Ils connaissent moins l'origine de la guerre, c'est-à-dire le système colonial ainsi que ses conséquences sur la société française actuelle (exil, immigration, racisme etc). Ce sont davantage ces enseignements qu'il s'agit de renforcer.

60 ans après les accords d'Évian, la guerre d'Algérie continue-t-elle dans les mémoires, notamment auprès de l'extrême droite française? Pourquoi cette nostalgie de l'Algérie française qui s'éternise encore?
L'extrême droite française marche sur deux jambes: Vichy, c'est-à-dire la collaboration avec le nazisme, et le combat pour l'Algérie française. Cet héritage politique s'est longtemps ancré dans le personnel politique, qui à l'extrême droite, avait participé à ces évènements. Aujourd'hui, il se lit encore dans l'idéologie coloniale encore active à l'extrême droite, notamment dans le refus de remettre en cause les discours sur les bienfaits de la colonisation, dans la stigmatisation des immigrés et de leurs enfants, dans l'articulation d'un désir de revanche et de violence et dans l'adoption d'une posture victimaire, d'une mentalité d'assiégés dont Éric Zemmour est l'incarnation. Cela est le fait d'une minorité, notamment dans la jeunesse, mais qui profite d'une forte résonance dans l'espace public. Parce que la colonisation de l'Algérie par la France renvoie à la République, à la Nation et à notre rapport à l'altérité. Elle est intimement liée aux débats sur l'identité nationale. La société française d'aujourd'hui a beaucoup changé. Elle s'est créolisée. L'égalité progresse et les imaginaires hérités de la colonisation sont questionnés, déconstruits pour en reconstruire de nouveaux. Le monde d'hier, colonial et nationaliste, se meurt et ces personnes ne veulent pas voir ce monde mourir, car il a déterminé la manière dont ils pensent la France et leur propre identité. Les discours de réhabilitation du passé colonial et de rétablissement des hiérarchies raciales sont intimement liés.

L'argument de la fin du conflit mémoriel avec la disparition de la génération de la guerre ne tient plus, si l'on se réfère aux tenants du conflit des mémoires en France qui n'ont pas vécu la colonisation. Pouvons-nous parler de transmission des haines?
Non, il n'y a pas en France de transmission des haines dans les générations. Il n'y a pas de guerre de mémoire et encore moins de guerre civile. Les familles affectées par la guerre, quelles qu'elles soient, ont principalement transmis des récits intimes sur l'origine de la famille, le chemin parcouru mais aussi sur la résilience et la reconstruction en France. L'école et la culture populaire française ont aussi fait leur travail pour construire un consensus dans notre rapport au passé et accompagner le passage des mémoires à l'Histoire. On quitte progressivement le monde des mémoires instrumentalisées pour entrer dans celui de la confrontation aux faits et l'expression de récits plus complexes. Le conflit mémoriel n'est que l'apanage de l'extrême droite et des acharnés de l'identité.

Le dialogue des mémoires entre l'Algérie et la France semble très difficile à mener. Croyez-vous qu'il puisse déboucher un jour sur la réconciliation?
Sur le plan des relations diplomatiques, les gouvernements de la France et de l'Algérie savent s'entendre et travailler ensemble sur les dossiers qui les préoccupent. Les sociétés françaises et algériennes quant à elles ont beaucoup avancé ces dernières années. Les historiens, les artistes et les associations contribuent à faire avancer les sociétés calmement et à créer des ponts entre les sociétés civiles. Il y a, des deux côtés de la Méditerranée, une curiosité, un désir de connaissance, un refus des manipulations, une volonté d'échanger. Il faut accentuer ces liens entre les sociétés civiles, notamment via la création d'un office algéro-français pour la jeunesse.

D'où vient cette manipulation, qui en sont les auteurs, et quels sont les moyens permettant de réunir ce rapprochement et en quoi la création d'un Office national algéro-français que vous proposez serait-elle efficace?
L'utilisation de l'Histoire et des mémoires est surtout le fait des politiques. Les nouvelles générations refusent ces instrumentalisations. Elles veulent qu'on leur raconte l'Histoire. Leur exigence de vérité est une exigence démocratique. La création d'un office algéro-français pour la jeunesse est également une recommandation du rapport de Benjamin Stora. Il permettrait de financer des échanges de jeunes, des thèses, des voyages scolaires, des rencontres entre les jeunesses des deux rives afin de parler de ce passé commun mais pas seulement. Les jeunes ont aussi en commun d'autres sujets, d'autres défis comme l'environnement, la culture, la musique etc. Il s'agit maintenant de mieux se connaître, de se découvrir sur un pied d'égalité et dans une curiosité mutuelle.

En matière de recherche universitaire, du monde de l'édition, des médias, des colloques et débats...etc, quelle est la place réservée en France aux questions des mémoires et d'histoires communes entre l'Algérie et la France, ces dernières années? A-t-on facilité l'accès aux archives et aux moyens à la disposition de chercheurs, de journalistes... etc.?
Trois générations d'historiens et d'historiennes ont fait un travail précieux qui nous permet, aujourd'hui, de mieux comprendre la guerre mais surtout la colonisation. Ils et elles ont fait ce travail parfois avec de grandes difficultés d'accès aux sources et une fragilité financière et institutionnelle. Aujourd'hui, les choses vont mieux. Les archives sont en partie ouvertes même s'il reste des problèmes. L'État français n'est plus dans le déni ou le mensonge et les historiens peuvent travailler. Il est par contre encore possible de renforcer ces capacités de travail en augmentant les crédits de recherche, en créant une fondation, un musée ou encore des chaires universitaires sur l'histoire coloniale mais aussi post-coloniale, c'est-à-dire les conséquences politiques et sociales de cette histoire.

Depuis la première commémoration officielle des accords d'Évian par François Hollande en 2015, nous avons assisté à des réactions acerbes à commencer par celle de Nicolas Sarkozy suivie par d'autres nostalgiques de l'Algérie française. Cela ne constitue-t-il pas une rente mémorielle du côté français?
Il s'agit moins d'une rente mémorielle que d'une défense assez classique d'une vision nostalgique et nationaliste de l'Histoire et d'un projet politique centré sur l'identité nationale. Nicolas Sarkozy avait un autre agenda, d'autres alliances, notamment avec des associations de rapatriés les plus à droite. Il a fait du refus du 19 mars un cheval de bataille pour défendre l'héritage politique de l'Algérie française.

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