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«Anatomie d’une chute» de Justine Triet

Camusien à l’envi!

Le silence qui surprend le tribunal, tel un hoquet retenu, devient alors plus parlant…

De Justine Triet on avait déjà croisé deux de ses précédentes oeuvres, ici même à Cannes, «Victoria» (2016), «Sybil» (2019). Cette cinéaste déjà remarquée avec son premier film «La Bataille de Solferino» (2013), est arrivée pour cette 76e édition cannoise, sur la pointe des pieds, avec «Anatomie d'une chute». Et c'est le choc! Cette cinéaste déjà remarquée avec son premier film «La Bataille de Solferino» (2013), venait d'exécuter une démonstration de haut vol qui restera longtemps dans les mémoires. On avait ici et là réclamé plus de parité, du 50/50 quoi, et voilà que Justine Triet met tout le monde d'accord, en se propulsant à la première place tout genres confondus. La paresse ou la fatigue festivalière aurait pu nous suggérer de creuser, les sources de son inspiration dans la veine bergmanienne (Cris & Chuchotements) et même hitchcockienne («Fenêtre sur Cour») et ce ne serait pas une aberration. Loin s'en faut. Sauf qu'en regardant de plus près et de manière entomologique, cette chute, en autopsiant son anatomie, comme nous le propose le titre du film, on relève un détail cardinal, un égyptologue parlerait d'un secret de pyramide. Mais d'abord, le pitch: «Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne.
Sur les hauteurs de l'Isère
Un jour, Samuel est retrouvé gisant au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute: suicide ou homicide? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.». Et deux heures durant Triel, comme si elle avait travaillé son histoire à l'aide d'une sertisseuse, va balader tout son monde - sans (trop) de bruits - de ce chalet planté sur les hauteurs de l'Isère, aux boiseries patinées d'une salle du tribunal de Grenoble, où va être examinée, aussi bien cette chute et dans ses moindres détails que les liens de ce couple, jusqu'à cette défenestration du mari (Samuel Theis), au cours du procès de sa veuve, coupable présumée (Sandra Hüller). Ibn Arabi disait «le vent soulève la poussière et pourtant tu ne vois pas le vent, mais seulement la poussière»... Alors on guette, non sans quelques biscuits bien vitaminés distribués par les coscénaristes du film, Justine Thiet et Hararri (déjà auteur du très remarqué «Onada», en 2021 à Cannes) jusqu'à ce fameux turn point, dans les dernières vingt minutes, où le jeune fils non voyant (Milo Machado Graner) en terminant sa déclaration, dresse un constat aussi concis que percutant, invitant la cour à se poser une autre question, celle du pourquoi de cette mort à défaut du comment. Le silence qui surprend le tribunal, tel un hoquet retenu, devient alors plus parlant que les réquisitions et autres plaidoiries. Alors l'ombre d'une vérité commencera à sourdre comme l'eau d'une résurgence lointaine. Et l'image de cercles concentriques dessinés par l'eau des canaux d'Amsterdam glisse des poches de la mémoire: c'est la Chute de Camus! Dans le court texte d'Albert Camus, Clamence, dans un bar confie en un monologue, (une confession?) ses doutes, sa culpabilité. «Où commence la confession, ou l'accusation? Une seule vérité en tout cas, dans ce jeu de glaces étudié: la douleur, et ce qu'elle promet».
Un plongeon dans l'absurde
Camus fera avec «La Chute» un grand plongeon dans l'absurde. Faisant de ce même absurde, un point de chute, en soi. Tout comme Justine Triet avec «Anatomie d'une chute». Et là où convergent leurs démarches respectives, la cinéaste et l'écrivain, c'est où justement cet absurde se répand. «L'absurde, cette différence, ce décalage profond entre ce qu'attend l'Homme de la vie, l'idée qu'il en a, et ce qu'il réalise à mesure qu'il y avance, qu'il vit des expériences». Au fil des audiences de ce procès que Justine Triet parsème de brillantes pensées ou de chausse-trappes non moins brillantes, c'est cette profonde réflexion philosophique de l'auteur de «La Chute» qui remonte de loin et qui interroge le sens de la vie: «Il y a une absence du sens profond de la vie. Au fond, la vie n'a pas de sens, c'est ici la réponse que trouve celui qui cherche des réponses. L'absurde, c'est cette différence, ce décalage profond entre ce qu'attend l'Homme de la vie, l'idée qu'il en a, et ce qu'il réalise à mesure qu'il y avance, qu'il vit des expériences.». Pour approfondir cette pensée, la cinéaste va oser des techniques narratives des plus étonnantes. Elle ira jusqu'à «post- synchroniser» les propos du fils sur les lèvres du père, ajoutant encore plus de trouble, sans compter cette distorsion narrative au montage, qui va être du plus bel effet et sans gratuité aucune bien sûr.
Devant nos yeux, Justine Triet est en train de gagner une course de fond, bien en avance sur le reste du peloton. Elle est à la hauteur de cette ambition cinématographique. Arthur Harari son compagnon, coscénariste et intervenant sur le montage portera lui plus d'éclairage sur cette pensée in progress: «Justine aime déplacer les formes classiques vers de nouveaux prototypes». Quant à Justine Triet elle essaiera de contenir l'essentiel de cette démarche, dans une pensée cardinale: «Ce qui m'obsède c'est la judiciarisation de l'intime, cet endroit où l'on te raconte à ta place, c'est-à-dire le début même de la fiction». Sans trop de risque, gageons que le jury sera bien attentif à cette proposition filmique contenue dans «Anatomie d'une chute» et sa réalisatrice, «la Daft Punk» du cinéma français comme la surnomme sa coproductrice, Marie-Ange Luciani.

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