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Youcef Merahi, Écrivain, à L'Expression

«Djamel Amrani est notre poète national»

Dans cet entretien, l’écrivain, poète et essayiste, Youcef Merahi, parle longuement de son tout nouveau recueil de poésie, paru aux Éditions Apic d’Alger, de sa passion inextinguible pour la poésie et de son admiration pour Djamel Amrani, Hamid Nacer Khodja, Mouloud Feraoun…

L'Expression:Vous restez viscéralement attaché à la poésie malgré plusieurs expériences dans d'autres genres, pourquoi cette fidélité?
Youcef Merahi: Je suis fondamentalement attaché à la poésie, parce que j'y trouve mon compte. Aussi loin que remonte ma mémoire, j'ai toujours écrit de la poésie. C'est donc un long compagnonnage. À deux, nous avons traversé bien des écueils. Des joies. Des blessures. Et des espoirs. Même je reconnais lui avoir fait quelques infidélités, je reviens toujours à mes amours premières, c'est-à-dire la poésie. Je sais parfaitement que la poésie est un genre boudé par l'édition, car moins rentable commercialement, et ostracisée par le lectorat, car jugée comme un genre dépassé, suranné, illisible et sujet à caution, désormais. Je sais tout ça. Il suffit de parler pour que les gens fassent une mine de rejet. Que faire dans ce cas-là? Arrêter d'écrire pour ces raisons? Certains poètes ont remisé leurs plumes. D'autres continuent d'écrire vaille que vaille, car ils portent en eux cet espace intérieur d'émerveillement et tentent une hypothétique édition. Je fais partie de cette deuxième catégorie. Tant que je dispose d'une once d'émerveillement dans mon coeur, je n'arrêterai pas d'écrire de la poésie. Celle-ci m'habite. Elle répond à mes sollicitations, quand le bleues, le spleen, la douleur d'être se font pressants. La poésie est là, qui répond présente, pour me booster, m'aider à franchir le cap, à aller de l'avant et à renaître derrière chaque vers commis. Mais qui est fidèle à l'autre? La poésie? Ou est-ce moi qui lui suis fidèle? Je ne sais plus. En tout état de cause, à chaque fois que je lui fais appel, la poésie répond présente. Comme dirait l'autre chanteur, «nous sommes en somme un vieux couple.» Il y a une sacrée dose de complicité. Dès lors, tant que j'aurai en moi un semblant d'émerveillement, j'écrirais de la poésie, même si je devais être le dernier sur terre.

Parlez-nous des textes contenus dans votre nouveau livre?
Il m'est difficile de faire de la lecture de texte de ma poésie. Forcément, je serai partial. Je préfère que d'autres lisent mes poèmes et me donnent leur appréciation, si appréciation il y a. Au Salon du livre d'At Yenni, un lecteur m'a dit: «Ta poésie est triste.» J'ai dit: «Peut-être.» Je ne peux (pré)juger de la valeur de mon écriture. Il y a des spécialistes pour cela. Tout ce que je peux dire, c'est que le dernier recueil m'a été «dicté» par les terribles incendies qui ont ravagé notre région. Ceci m'a porté à questionner ma mémoire, qui joue un rôle fondamental, dans mon écriture. Ce sont des poèmes crépusculaires, car je m'interroge sur le temps qui passe et qui laisse sur nous des stigmates indélébiles. À toi, journaliste, de compléter.

La majorité de vos poèmes figurant dans votre nouveau livre, est liée à des événements récents, n'est-ce pas?
Oui, la majeure partie de mes textes est liée à des événements qui peuvent être récents ou lointains. Ce recueil, précisément, est le résultat de la souffrance que j'ai ressentie lors de la catastrophe de l'année passée. Le rôle justement du poème est d'exorciser cette souffrance. Tout se mélange dans ma mémoire, au point que je ressens physiquement la douleur d'autrui. J'ai eu mal au moment où les victimes des incendies ont ressenti cette douleur. Je ne peux pas l'expliquer autrement. J'ai souffert avec eux, car j'étais impuissant devant le drame. Un véritable drame, n'est-ce pas? Par le biais du poème, je viens dire, en silence, mon ressenti. Ça me sert de soupape de sécurité. Je lis beaucoup de poètes, je trouve une douleur (souffrance?) sous-jacente à l'éclosion du poème. Chacun trouve le dérivatif idoine. Personnellement, je le trouve dans la poésie (en écriture ou en lecture).

Effectivement, il y est question de beaucoup d'événements douloureux, de deuil et de morts, la réalité est-elle donc à ce point pessimiste?
La réalité est-elle donc à ce point pessimiste? Je te repose la question: l'est-elle? Dur de répondre à une question pareille. La réalité est une suite d'événements heureux, malheureux... Ou les deux à la fois. La réalité n'est jamais linéaire; elle se déroule en dents de scie. Comme on dit communément: il y a des hauts et des bas. Ma poésie exprime cette réalité, sans l'enjoliver ni la dramatiser. Il est vrai que le bonheur, on ne l'écrit pas, on le vit. Et qu'on n'écrit que les choses douloureuses. Peut-être est-ce dû à la nature humaine? Je ne sais pas. Je dis peut-être. En tout état de cause, j'écris ma réalité sans tricher. Du moins avec le plus de franchise possible. C'est ce qui fait que tu trouves ma poésie douloureuse. C'est connu, la mémoire est sélective. Je n'ai fait que lui obéir. Puis, il ne faut pas aller dans le détail, il faut prendre en considération l'ensemble du tracé de vie. Le mien n'a pas été de tout repos, je le concède. Et ma poésie s'en trouve impactée forcément.

Mais malgré ces thèmes, chacun de vos textes dégage une beauté poétique, lexicale et métaphorique indéniable? Comment peut-on construire du beau avec des thèmes teintés d'affliction?
Tu réponds, je pense, à ta propre question. Tu écris: «Malgré ces thèmes, chacun de vos textes dégage une beauté poétique...» La beauté se trouve partout, même si souvent il y a antinomie. Dès lors, malgré l'affliction, comme tu dis, on peut écrire de beaux textes. Tout repose sur la façon dont le poète ressent l'événement douloureux. Cela donne une complainte. La poésie prend en charge la vie avec tout ce qu'elle peut comporter comme événement. Il y a des deuils. Des peines et des joies. Des déchirures. Des retrouvailles. Il suffit de relire les grands poètes de ce monde pour vous en convaincre.

Le titre de votre livre, «Dans mon coeur il n'y a plus d'heure» semble très complexe, pouvez-vous nous donner quelques indications pour tenter de percer son mystère?
«Dans mon coeur, il n'y a plus d'heure» est un titre qui donne, je pense, une unification et une harmonie à l'ensemble du recueil. Jeune, on ne s'embarrasse pas du temps qui passe, on ne s'occupe que de la montre (l'heure) pour vivre. Mais arrivé à un certain âge, comme le mien, l'heure n'a plus d'importance; ce qui nous importe, c'est comment passer ce temps restant.

Parlez-nous un peu de votre expérience avec Koceïla Tighilt, le journaliste et artiste qui illustre vos oeuvres?
Koceïla Tighilt est un jeune bourré de talent. J'ai d'abord apprécié son recueil de poésie avant de chercher à le connaître. Puis je lui avais proposé d'illustrer un de mes recueils. L'expérience a été concluante. Puis, j'ai cherché à la rééditer. Je lui remets mon recueil; à charge pour lui de le lire et de décider de quelle type d'illustration il va apposer devant chaque poème. C'est tellement bien fait de sa part que le recueil est pratiquement l'oeuvre de nous deux. Le travail de Koceïla Tighilt a été apprécié ici et à l'étranger. Il est dommage qu'un talent comme ça reste pratiquement en jachère. Enfin, c'est déjà un autre problème. Puis, je dois préciser que j'ai déjà tenté l'expérience avec d'autres artistes peintres comme Denis Martinez et/ou Nordine Chegrane.

Qu'en est-il de votre expérience avec les Éditions Apic, l'une des rares maisons d'édition en Algérie, qui continue à publier des recueils de poésie et qui réalise un travail éditorial très remarquable?
Les Éditions Apic font un travail éditorial remarquable, comme tu dis. Samia et Karim (un couple dans la vie) forment un duo performant dans l'édition; car ils aiment leur boulot; ils aiment également le monde de l'écriture. À leur manière, ce sont deux artistes. Ils ne considèrent pas la poésie comme une gestuelle dépassée. Ils sont conscients de la nécessité de publier de la poésie, même si les difficultés aujourd'hui sont évidentes: marché du livre, cherté du papier, circuit de distribution, manque de librairie... Enfin, ils font bien leur travail avec goût et constance.

Parlez-nous du regretté poète Djamel Amrani?
Que dire du regretté Djamel Amrani? Qu'il est d'abord le poète national par excellence. Djamel a vécu, dans sa chair et dans son âme, la révolution de notre pays. Il a choisi de vivre par le verbe et pour le verbe. Vivant dans une solitude terrible, il a investi le vaste territoire de la poésie comme si c'était un sacerdoce. Mais, également, il meurt d'une overdose de solitude et d'indifférence. Il n'a eu de cesse de me répéter cette phrase, à chaque fois que l'on se voyait: «Nous vivons en marge de la marginalité.» Aujourd'hui, il est carrément oublié par tous. Qu'il repose en paix lui qui, vivant, a porté l'enfer des autres. Je souhaite que nos étudiants et chercheurs prennent en charge sa poésie. Sinon, il faut toute une thèse pour cerner le personnage.

De Hamid Nacer Khodja qui fut votre ami, que pouvez-vous dire?
Hamid Nacer-Khodja était mon condisciple à l'ENA. C'est là où je l'ai connu, grâce à la poésie et à Sénac. Pour l'anecdote, je sortais de ma chambre à l'Ecole, j'avais entre les mains «Diwan du Noun» de Sénac, je rencontre Hamid au couloir, il faisait assez sombre; malgré cela, il a pu reconnaître l'ouvrage de Sénac. De là est partie notre amitié qui ne s'est pas démentie depuis les années soixante-dix.
Hamid était une encyclopédie vivante; il a mis de côté sa création pour s'occuper de l'oeuvre de son ami Sénac. Il a été le spécialiste de l'oeuvre «sénacienne»; Hamid était bon, généreux, modeste, humble et fidèle en amitié. Je pense souvent à lui.

Qui est votre écrivain préféré?
Je me sens très proche de Mouloud Feraoun. J'aime l'écrivain et son oeuvre. J'aime la «sagesse» de son style et le regard, sans complaisance, qu'il porte sur sa société. Le Fils du pauvre est pour moi l'un des plus beaux romans de la littérature universelle. Ça n'engage que moi, naturellement. Je me reconnais dans son texte. Ce dernier me parle. Il ne m'est pas étranger. C'est mon espace. Feraoun me rappelle certains instituteurs qui ont porté haut la quête du savoir. J'en parle souvent.

De tous les poèmes et textes que vous avez écrits, quel est celui que vous considérez comme étant le meilleur?
Je les aime tous. Pour la simple raison que chacun de mes poèmes porte en lui une part de moi-même et un moment de ma vie. Même s'ils sont d'inégale valeur, je ne peux en privilégier aucun.

De Quoi j'me Mêle

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