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Le romancier nous as quittés il y a trois ans

L'incompris Ouramdane Krim

Malgré ses qualités de bon orateur en français et en anglais, Ouramdane aimait toujours mettre en valeur sa langue maternelle, le kabyle.

Par Redouane Krim

«Que pouvez-vous nous dire sur Ouramdane Krim, paix à son âme?» C'est une question à laquelle j'ai toujours éprouvé énormément de difficultés pour lui trouver une bonne réponse. Ces difficultés ne sont pas seulement dues au fait que je n'ai pu rencontrer l'homme qu'à la fin de sa vie, mais aussi à la grande valeur de la personne. C'est pour cela que je demeure persuadé que ceux qui peuvent répondre à cette question sont les gens qui l'ont connu et fréquenté, car moi aussi j'aimerai savoir encore plus sur cet homme qui mérite un grand hommage.
Le monde va très vite! Et Ouramdane nous a quittés depuis déjà 3 ans. C'est son image et sa voix qui traversent mon esprit en écoutant l'hommage de Jacques Brel rendu à son ami Georges Pasquier dit «Jojo»: «Nous savons tous les deux que le monde sommeille... Par manque d'imprudence... Six pieds sous terre,... Tu espères encore... Six pieds sous terre, tu n'es pas mort... Tu me donnes en riant des nouvelles d'en bas... Je te dis ‘' Mort aux cons! ‘' Bien plus cons que toi, mais qui sont mieux portants.» Ouramdane avait toujours été pour moi un exemple pour la bonne conduite, la justesse et la franchise. Quel dommage qu'il s'en soit allé au moment où nos chemins se sont croisés!

Héros épique
Ouramdane Krim, le romancier est né au village Tizra-Aissa, à Ait Yahia Moussa, en 1958, pendant la guerre de libération. Il est issu de la famille du chef emblématique de la Wilaya III historique (la Kabylie), Krim Belkacem.
Les circonstances de la naissance d'Ouramdane sont similaires à celles des héros épiques de la tradition grecque. Il est venu au monde le jour même de l'exécution de son père, chahid Ahmed, qui avait été capturé et torturé par l'armée française. Un oeil avéré lirait que, la Fortune l'avait prédestiné à continuer dans la lignée de la résistance.
Etant orphelin privé de la tendresse et de l'amour du père comme tous les enfants des maquisards tombés au champ d'honneur, il intègre l'école des enfants de chouhada de Larbaâ N'Ath Iraten à l'âge de neuf ans, une école trop loin de son village. Après le lycée, il rejoint l'académie militaire de Cherchell et devient sous-lieutenant en 1982.
Malgré ses qualités de bon orateur en français et en anglais, Ouramdane aimait toujours mettre en valeur sa langue maternelle, le kabyle. Il a de tout temps éprouvé un attachement solide pour l'amazighité en général et aux coutumes et traditions kabyles en particulier. Durant sa vie de militaire, il a visité les quatre coins de l'Algérie, ce qui a fait de lui un grand patriote. Il répartissait son temps libre entre lecture et contemplation. Il était un amateur de la nature avec laquelle il partageait sa solitude. Il était en quête permanente de la vérité et se posait des questions sur le sens de la vie. Malgré sa discrétion et son devoir militaire, il a toujours été un militant des causes justes. Ouramdane était un démocrate ouvert d'esprit, qui rassemblait l'amour de la patrie, l'identité berbère et l'écriture. Avant de devenir écrivain, Ouramdane était un lecteur d'écrivains algériens comme Jean El Mouhoub Amrouche, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, et des écrivains universels comme Rimbaud, Flaubert, Hugo, Zola, Camus, Dostoïevski etc. Ces auteurs l'ont inspiré et influencé.

Une belle et rebelle plume
Après 25 ans au sein de l'Armée nationale populaire, il décida de prendre sa retraite en 2004 pour se consacrer à sa famille, à l'écriture, à profiter de la vie et surtout de la nature dont il est un admirateur. Deux ans après avoir pris sa retraite, et avec l'aide et l'insistance des proches et amis, Ouramdane publia son premier roman intitulé «Les Incompris». Bien que le premier roman d'Ouramdane soit une critique indirecte de l'histoire de l'Algérie indépendante, il prédisait l'échec vers lequel l'Algérie se dirigeait au début de l'ère Bouteflika.
Un roman qui crie «Halte à la corruption, l'Algérie va vers le déclin» parut juste à la fin du 1er mandat de Bouteflika alors que le flux économique battait son plein et le peuple commençait à se réveiller du cauchemar de la décennie noire. Cependant, le roman n'a pas eu la réception et le succès escomptés. «‘'Les Incompris´´ n'est pas qu'un simple roman, mais c'est aussi une exploration de questions culturelles, identitaires, littéraires, socio-économiques et politiques d'une Algérie qui n'arrive pas à s'affranchir après un demi-siècle d'indépendance. Cette situation a engendré d'autres complications.
Ouramdane a commencé à travailler sur d'autres romans et scenarios non publiés. Il tomba malade et rendit l'âme un certain 27 janvier 2018. J'avais le plaisir de rencontrer Ouramdane à quelques occasions avant sa disparition. Ces rencontres ne duraient pas plus d'une heure, mais elles étaient très riches, parce qu'elles me mettaient avec un homme qui a consacré sa vie à son Algérie. Il était un homme avec une disponibilité discrète et sans faille envers tout travail associatif et un militant avec une dévotion assise sur le principe: «La justice pour la justice et le bien pour le bien, sans attendre ni récompense ni reconnaissance.» Tout ce que je peux dire sur cet homme, c'est qu'il avait un esprit patriotique, une belle et rebelle plume.

Un homme humble et discret
La première fois que je l'ai rencontré, il était accompagné de son frère Aomar. Ils étaient venus le jour des funérailles de mon grand-père en février 2015. De loin, il dégageait une sévérité inflexible. Mais dès qu'il commence à parler, on découvre un homme d'une extrême gentillesse, politesse et civilité. Son intelligence et son choix des mots avec exactitude et précision étaient remarquables. Il joignait élégance, simplicité et discrétion.
Je lui ai dit que j'avais entendu beaucoup de choses sur lui!
Il sourit en me questionnant «Comme quoi?!».
J'ai répondu: «Ecrivain ex-militaire tout comme Yasmina Khadra!».
Il réagit: «Moi aussi, j'entends souvent sur toi. Tu aimes Hemingway qui a écrit une citation qui me plait beaucoup ‘'Le métier militaire... Ce n'est pas un sale métier. C'est le plus ancien et le plus beau, même si la plupart des gens qui l'exercent en sont indignes''.»
- Quel livre? lui demandais-je
-Je ne sais pas! Tu le trouveras avant la préface du livre Les feux du désespoir d'Yves Courrière, sur la guerre d'Algérie» me précisa-t-il.
À la fin de l'enterrement, nous avions échangé nos numéros de téléphone. Deux mois plus tard, comme par hasard, je l'aperçois sortir de la Maison de la culture de Tizi Ouzou. Je l'interpellais. Il était heureux de me revoir. On alla chercher une cafétéria paisible juste à côté, pour partager cette passion de la prose et la poésie. Il m'a ouvert les yeux sur les différences entre les types de théâtre comique du Moyen Àge (farce, monologue, moralité et sottie). Avant qu'on se sépare, il m'a dit: «Voltaire dit que ‘‘La lecture agrandit l'âme et un ami éclairé la console'', n'est-ce pas?». On se donna un autre rendez-vous dans la même cafèt', et on se sépara.
À la troisième rencontre, le respect et la modestie d'Ouramdane m'ont empêché d'oser l'appeler. Pile à l'heure, c'était lui qui m'appela. Nous avons enchainé sur notre dernière conversation. En évoquant Voltaire et son conte Candide, il sourit, puis dit: «Voltaire!... J'admire son combat contre le fanatisme, je n'ai pas lu tous ses livres, quoique j'ai bien feuilleté Le Traité sur la Tolérance, un appel au respect de l'autre». Son discours était d'un haut niveau. Parfois, à défaut de pouvoir le suivre, je devais l'interrompre. Dada Ouramdane avait le sens de la famille, il avait une attitude paternelle en me parlant. Au bout de la conversation, il reçut un appel. C'était son fils, il me dit: «Je suis désolé cousin, je dois aller, prends soin de toi et reste un homme». Quelquefois, tout en sirotant un café dans une cafétéria à Draâ Ben Khedda, j'ai l'habitude de remplir la grille des mots fléchés. Un jour, il me surprit avec sa voix robuste «Ilaq aten tekfu? uk, maèèi widak issahlen kan» (Il faut les finir tous, pas uniquement les faciles)». Il me rejoint à la table, regarda le journal un bon moment, et dit: «Tu fais anglais, comme études? Tu sais à qui on donne le titre de ‘'Sir'' chez les Britanniques? À quelqu'un du rang élevé; une personne d'une grande importance, par exemple: Sir Isaac Newton. Bah! Tayeb Bouamar, le créateur de ces mots fléchés mérite un titre pareil, si l'Algérie donnait la valeur à ses enfants!» On a changé de sujet, après un moment. il me dit: «Tu lis quoi ces derniers jours?
- Le Misanthrope une comédie de Molière, je la trouve un peu difficile.
- Hakka! (Comme ça!) La langue française elle-même est liée à son nom! Tu sais que Krim Belkacem surnomme De Gaulle Don Juan dans ses lettres à ses compagnons de la révolution, qui veut dire Le séducteur, après la tentative de ‘‘La paix des braves''? Don Juan est une autre comédie de Molière. Krim Belkacem s'en est même inspiré pour beaucoup d'autres mots clés de ses lettres des personnages de la littérature classique.»
La discussion était tellement fluide et riche en informations. Mais j'étais obligé d'aller à l'université. On s'est dit «Au revoir à la prochaine!» et on s'est séparés sans savoir que c'était un adieu! Durant plus de 9 mois, trop occupé, je ne savais pas qu'il était malade. Un certain samedi 27 janvier 2018, je reçus un appel de mon père m'annonçant: «Ouramdane n'est plus! Paix à son âme. C'était un coup difficile à encaisser. Six pieds sous terre, Ouramdane nous parle encore. 

De Quoi j'me Mêle

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