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L'islamologue et chercheur Saïd Djabelkhir, à L'Expression

«L'islamisme politique est en régression»

Le chercheur en islamologie, Saïd Djabelkhir, développe sa vision et sa démarche sur les questions liées à la modernité et à la déferlante obscurantiste et son discours extrémiste. Il rappelle le grand enjeu de la société algérienne: la rupture avec la pensée rétrograde de l'islamisme politique et le populisme religieux.

L'Expression: Peut-on dire que le discours de l'islamisme extrémiste est en train de gagner davantage la société profonde?

Saïd Djabelkhir: Je crois que la dynamique globale est en train d'évoluer vers une régression de l'islamisme ou l'islam politique (à ne pas confondre avec l'islam, religion spirituelle) et une prise de distance du culte par rapport à la chose publique. On assistera, dans les années à venir, à une rupture progressive avec le discours de l'islam politique, qui sera remplacé par des discours réformateurs tels que celui des coranistes (Ahmed Sobhi Mansour, Mohamed Shahrour, Ahmed Abdou Maher, etc.), ainsi que d'autres réformateurs que je qualifierai de superficiels et beaucoup moins radicaux (qui ne vont pas en profondeur et ne creusent pas trop dans l'historicité des textes fondateurs de l'islam, à savoir le Coran et les Hadiths) tels que Adnan Ibrahim, Islam Behiri et Saâd Eddine El Hilali, pour ne citer que ceux-là.
L'islam politique (les Frères musulmans et les salafistes, toutes tendances confondues, entre autres) a causé trop de dégâts dans les décennies durant lesquelles il a été instrumentalisé par l'Arabie saoudite, dans le cadre de la stratégie américaine antisoviétique. Ceci n'est plus un secret pour personnes, après les révélations détaillées du prince Mohammed ben Salmane dans la presse internationale. L'islam politique a entamé sa phase de retrait, mais évidemment il y aura encore des dommages avant la disparition totale de ce phénomène, à mon avis cela va prendre encore une à deux décennies, mais il ne faut pas trop rêver, car tant que les musulmans n'auront pas entrepris une réforme profonde de leur religion, sur la base de l'historicité de ses textes fondateurs, et ce afin d'abroger la valeur juridique de tous les textes qui sont, aujourd'hui, anachroniques et en totale contradiction non seulement avec la modernité mais aussi avec les valeurs humaines universelles, je dis bien tant que les musulmans n'auront pas procédé à une réforme sérieuse et profonde de leur religion, les lectures littéralistes et intégristes des textes continueront à produire l'extrémisme et le terrorisme, à travers le monde entier. Je note au passage que la réforme religieuse, en pratique, doit obligatoirement passer par l'école, c'est-à-dire par une réforme radicale du discours pédagogique et des programmes scolaires. Il va sans dire que cet espace ne permet pas de m'étaler sur les détails.
Pour le cas de l'Algérie, je constate que les discours religieux officiel et islamiste sont à court d'arguments, les chouyoukhs et les imams cathodiques ne sont plus convaincants, surtout avec les centaines de chaînes Youtube, qui diffusent, sur les réseaux sociaux, un discours très critique à l'égard des religions. Raison pour laquelle les nouvelles générations, qui sont très branchées sur les réseaux sociaux, sont devenues beaucoup moins réceptives aux discours de l'islamisme, toutes tendances confondues. Il est à noter que les chaînes Youtube, qui critiquent les religions, sont d'autant plus nombreuses que les médias lourds, c'est-à-dire les chaînes de télévision (publiques et privées) ne sont pas ouvertes à la critique et ne permettent pas la visibilité des voix anticonformistes.

Pensez-vous que le discours de la modernité et de la rationalité peine à trouver sa voie, d'une manière conséquente, au sein de la société?
Le discours de la modernité et de la rationalité ne peut pas trouver sa voie au sein de la société, tant que les médias lourds continuent d'instrumentaliser la religion et les sentiments religieux, qu'ils ne sont pas ouverts à la critique et aussi longtemps qu'ils continuent à faire dans le monologue, c'est-à-dire à diffuser un discours à sens unique, et là je parle surtout de ce qui touche à la religion. Les médias nous présentent à longueur de journée des imams populistes qui prononcent un discours confessant à sens unique, sans arguments, avec des informations biaisées, un discours qui n'a rien à voir ni avec l'Histoire, ni avec les données anthropologiques, ni avec les nouvelles découvertes telles que les manuscrits coraniques de Sanaâ (Yémen), ni encore avec l'islamologie telle qu'elle est enseignée, aujour-d'hui, à travers le monde. Les universités du monde avancent et produisent chaque jour de nouvelles théories sur l'islam, et nous, on continue à suivre la politique de l'autruche, en produisant des fetwas inutiles et des histoires à dormir debout. Le public n'est pas dupe, et il est grand temps pour nos imams et nos chouyoukhs de sortir de cette léthargie, d'arrêter de se voiler la face et de regarder ce qui se passe autour de nous, à travers l'univers.
Je l'ai dit et je le répète: les musulmans n'ont plus soif de fetwas. Ils n'ont plus besoin que leurs croyances, leurs idées et leurs comportements soient mis sous la tutelle des imams et des chouyoukhs. Les musulmans ont juste besoin qu'on leur donne l'information religieuse complète, analysée par des spécialistes, après, il revient à tout un chacun de se forger ses propres opinions et croyances, et de décider du comportement qu'il doit adopter, d'autant plus qu'il n'est plus possible, aujourd'hui de cacher l'information religieuse ou autre, car toutes les sources sont désormais sur internet.

Quelle est la part de responsabilité des élites dites modernes face à la montée et au retour du discours fondamentaliste?
Malheureusement, la majorité de nos élites est silencieuse quand il s'agit de critiquer l'islamisme et le populisme religieux. Certains se sont ralliés à l'islamo-gauchisme international et d'autres même au salafisme. Ceci dit, je ne fais que constater, je n'ai pas l'intention de juger qui que ce soit. Je constate également que les nouvelles élites sont plus engagées que les anciennes dans la critique de l'islamisme, ce qui est prometteur.

Êtes-vous d'avis que l'école est assiégée par le discours extrémiste qui se nourrit de ce qui est appelé, par les spécialistes de la théologie comparée, de «clôture dogmatique»?
En effet, je suis de cet avis. L'école algérienne a besoin, et de toute urgence, d'une réforme radicale du discours pédagogique et des programmes scolaires. C'est malheureux à dire, mais ce qui est enseigné aujourd'hui dans nos écoles relève du discours fanatique et n'a rien à voir avec les valeurs humaines universelles. Les qualités démocratiques, républicaines et les droits de l'homme ne sont pas enseignés. En revanche, l'on continue à faire lire à nos enfants des textes qui font la promotion de la haine de l'autre, de la mort et de la tristesse, au lieu de promouvoir le droit à la différence, le respect de l'autre, la vie, la joie et le vivre-ensemble en paix. Nos écoles inventent de faux croyants au lieu de produire de vrais citoyens.

Le recul de la lecture en général a favorisé la transmission via des structures et des moyens technologiques la pensée extrémiste où le «takfirisme» prend le dessus. Ne pensez-vous pas que l'État doit intervenir pour remettre les «pendules à l'heure»?
Selon les normes pédagogiques, la lecture doit commencer à la maison, au sein de la famille, et c'est l'école qui devrait prendre le relais pas la suite. Il est triste de constater que nos bacheliers n'ont jamais fait la lecture critique d'un classique durant leur scolarité. J'ai reçu un message Facebook de la part d'un jeune universitaire algérien, licencié en littérature. Il m'a posé des questions et en réponse, je l'ai orienté vers un livre pour complément d'information. Il m'a déclaré qu'il ne lit pas et qu'il voudrait que je lui transmette le résumé d'une page de ce livre. La famille n'habitue pas l'enfant à lire, l'école non plus, ce qui fait qu'on se retrouve aujourd'hui avec des docteurs qui enseignent à l'université et qui ne lisent pas. C'est triste, mais c'est la réalité. Je crois que la presse écrite, les sites Internet et les médias lourds pourraient jouer un rôle pour remédier à cette situation et ce en multipliant les articles, les dossiers et les émissions sur le monde des livres, et la lecture. Il est important, dans ce cadre, d'organiser des rencontres entre les écrivains, les éditeurs et les enfants, qui seront les lecteurs de demain. Il faut faire en sorte que les élèves acquièrent l'amour de la lecture et les encourager à écrire.

Les réseaux sociaux pullulent de discours de la haine, de l'intolérance et du rejet de l'Autre. N'est-il pas temps de contrer cette déferlante de la haine et de l'intolérance?
Il y a des pages, des groupes et des chaînes sur Internet qui font la promotion de la haine, de l'intolérance, du rejet de l'autre, du régionalisme, du racisme et même de la violence. L'État ne devrait pas fermer l'oeil sur ces gens-là, car les effets de ce phénomène risquent d'être catastrophiques à long terme. En revanche, on constate que la pensée critique est très vite épinglée et réprimée sur les réseaux, que ce soit par le signalement collectif ou par les plaintes déposées devant la justice, comme cela a été le cas pour moi.

Vous avez abordé dernièrement sous forme de recherche académique, la question de l'historicisme et son rapport avec les anciens textes. Pensez-vous que ce travail pourrait être l'ébauche d'une démarche qui vise à asseoir un discours moderne et rationnel?
J'ai produit plusieurs séries sur ma chaîne Youtube. J'ai commencé par une série sur l'historicité du texte coranique, en 22 épisodes, puis une autre série de 13 épisodes sur le coran et les anciennes Écritures, et là je suis sur une troisième série qui risque d'aller jusqu'à 250 épisodes, sur l'historicité du deuxième texte fondateur de l'islam, à savoir les Hadiths du prophète (Qsssl) selon une méthode historique, comparative, analytique et critique, qui vise à détruire les discours traditionnels, afin de montrer pourquoi et comment ce deuxième texte a été écrit et quels sont les facteurs idéologiques, politiques et socio-culturels qui ont influencé ce processus et abouti à l'officialisation et à la canonisation de ce texte. Cette nouvelle série vise également à la déconstruction de ce texte et à montrer comment il est devenu un texte central presque au même degré que le premier texte (le Coran), à tel point qu'il a été décrété «deuxième révélation» et comment il a été instrumentalisé par le califat, pour justifier ses politiques militaristes et hégémoniques, à travers l'histoire. Cette série sera suivie d'une autre avec la même méthode, sur le troisième texte à savoir les lectures, les interprétations et les «idjtihadates» des fouqahas (juristes) et autres commentateurs du Coran, dans laquelle je vais montrer comment et avec quels outils et quelles méthodes sont produites et fabriquées les interprétations des textes et les fetwas, en islam.
Ce travail vise effectivement à asseoir un discours critique, moderne et rationnel sur les textes fondateurs et le patrimoine religieux islamique de façon générale.
Il tend en définitive à relativiser les visions et les discours absolutistes adoptés par la majorité des musulmans, sur l'histoire et le contenu de leur religion.

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