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NOVEMBRE 1954 - NOVEMBRE 2004 CHERCHELL, 20 MAI 1957

La bataille de Sidi Semiane

Il est situé au milieu de plusieurs douars et fait partie de la zone 2, région 3 de la Wilaya IV. Il est relié par une route venant de Cherchell qui traverse la montagne du Zaccar jusqu´à la vallée du Cheliff. Après la bataille de Sidi Mohand Aklouche du 26 avril 1957 où notre commando est sorti victorieux de ce grand accrochage contre l´armée française et particulièrement contre le 29e Bataillon de tirailleurs algériens (BTA) installé à Fontaine du Génie (Hadjrat Ennous), nous étions toujours dans la région à la recherche d´autres batailles. Notre compagnie El Hamdania est constituée de 3 sections composées chacune de 35 moudjahidine : la section de Si Delloul Benmiloud Cherchell; la section de Si Kaddour de Zéralda ; notre section le commando Si Zoubir.
Nous avons donné le nom El Hamdania à notre katiba en mémoire de notre compagnon le chahid Si Hamdane, de son vrai nom Benabderazak Mohamed, originaire de Mouzaïa. Les chouhada Si Zoubir et Si Hamdane étaient des chefs braves, courageux et prestigieux. Ce sont eux qui ont dirigé les combattants de l´ALN réussissant à faire la grande embuscade de Tizi Franco Beni Menacer, daïra de Cherchell le 9 Janvier 1957.
Notre katiba El Hamdania se trouvait encore une fois dans le douar Hayouna et pour la deuxième fois, un agent de liaison nous rapporta une lettre de notre capitaine Si Slimane, dans laquelle il relatait que les soldats français faisaient des incursions fréquentes au douar Nouari près de Sidi Semiane, ils martyrisaient les habitants et qu´il y avait lieu d´aller sur place pour mettre fin aux agissements humiliants et néfastes de cette horde sauvage de soldats français. Il fallait une marche de plus de trois heures pour arriver à Sidi Semiane. Nous avons pris le départ de Hayouna à 23 heures pour arriver à 3 heures du matin. Si Youcef, Si Ali et Si Moussa, nos chefs, avaient décidé de monter un plan de combat et prendre position. La section de Si Kaddour avait pris position en face de Sidi Semiane à côté de Djebel Lemri ; quant à nous les deux autres sections, nous nous sommes embusqués au bord de la route dans un bois situé derrière le douar Nouari.
Entre 4 et 5 heures du matin, les ronflements des moteurs de véhicules nous parvenaient. Si Moussa passait d´un groupe à l´autre pour nous dire de bien nous camoufler et de faire très attention. La journée s´annoncait très difficile. Les guetteurs nous avaient fait savoir qu´un convoi montait du littoral par l´oued Messelmoune et un autre convoi par l´oued Sebt. Les convois venaient des villes de Cherchell, Novis, Fontaine du Génie, Gouraya et Duplex. L´ennemi avait concentré ses forces pour faire un grand ratissage. Il nous était impossible de quitter notre position sans risque de nous faire repérer; c´était trop tard, nous étions obligés de lui faire face. Le soleil se levait, à ce moment nous voyons des soldats qui débouchaient du djebel Lemri en courant pour prendre position devant la section de Si Kaddour. Les soldats étaient venus de Miliana, El Khemis, Aïn Defla, et des postes militaires environnants. Ils ne s´étaient pas aperçus de la présence de notre section qui se trouvait derrière eux et que peut-être Si Kaddour déclencherait son attaque. Les soldats qui étaient venus des villes de la vallée du Cheliff, derrière le Zaccar commencèrent à descendre vers nous, ignorant l´emplacement de Si Kaddour. L´encerclement se resserrait autour de nous. Notre surprise était grande. Nous avions constaté, qu´une fois encore, nous avons été trahis, comme ce fut le cas dans la bataille Sidi Mohand Aklouche du 26 avril 1957.
L´ennemi connaissait exactement notre emplacement. La même source qui avait informé notre capitaine Si Slimane, avait donné l´information à l´ennemi avec toutes les précisions. Le mouchard traître jouait un double jeu, nous étions pris au piège. Nous avions compris pourquoi Si Kaddour n´avait pas attaqué les soldats qui étaient devant lui, il voyait que l´ennemi concentrait ses forces autour de nous. Heureusement pour Si Kaddour, sa section n´était pas dans le plan tactique de l´état-major français. L´étau se resserrait de plus en plus sur nous, l´aviation survolait Sidi Semiane. A côté du douar, nous entendions les chants des harkis, criant et dansant de joie, nous disant: «Vous êtes tombés dans notre souricière, rendez-vous bande de sales communistes.» Oui, c´est vrai nous étions bien tombés dans un traquenard.
L´aviation avait commencé à nous bombarder, et cela dura une heure. Heureusement pour nous, il y avait de grands rochers à l´intérieur de la forêt qui nous permettaient de nous abriter des raids aériens. Après le départ de l´aviation, nous avions commencé à bouger. Cherchant à nous tirer de cet encerclement, nous avions suivi nos chefs qui tentaient de sortir sur la droite, ce fut impossible, l´ennemi avait installé plusieurs mitrailleuses le long de la route ainsi que des milliers de soldats en position de combat; ils avaient l´air de nous dire: «Avancez, venez, on vous attend.» Nous avions étudié la situation. On s´était dit que si on engageait le combat de ce côté et que nous arrivions à passer, il y a l´oued qui est large et profond, dont la traversée nécessitait une heure de temps et sans oublier que nous serions à découvert, donc des cibles privilégiées pour l´aviation. Sur l´autre flanc, des hélicoptères de type «Bananes» déposaient des troupes. Toute retraite était coupée pour nous de ce côté droit. Si Moussa était revenu en arrière, nous disant de le suivre pour tenter de sortir du côté gauche. Ce fut encore pire; des milliers de soldats occupaient tout un terrain plat et découvert. Nous étions revenus à notre point de départ, au milieu de la forêt.
Si Moussa imposait le respect par son calme, il disait : «Ne vous affolez pas, du courage mes frères, il nous est impossible de tenter la sortie par l´avant car il y a le gros des troupes françaises qui nous attend et surtout le grand risque de mettre en danger la vie des habitants du douar Nouari. Derrière nous, il n´y a aucune issue; la route s´arrête à un rocher au-dessus de nous.»
Notre situation n´était pas bonne, nous étions bien encerclés de tous les côtés. Soudain, d´un haut-parleur, on entendait une voix: «Kellouaz Moussa, je suis le commandant Gaudoin, tu te souviens de moi. Nous avons fait la guerre d´Indochine côte à côte, nous étions de bons copains nous avons cassé ensemble «les Vietming». Alors, je te demande de te rendre avec tes fellagas et je te donne ma parole d´honneur et d´officier que je t´aiderai.» Nous étions tous étonnés, surtout Si Moussa. Effectivement, pendant la guerre d´Indochine, Si Moussa nous a raconté qu´il avait le grade de sergent chef, tandis que Gaudoin avait le grade de lieutenant. Aujourd´hui, ils se trouvaient face à face avec un avantage pour le commandant Gaudoin: la supériorité numérique. Le commandant Gaudoin ne cessait de faire appel à Si Moussa lui proposant de se rendre. Si Moussa nous disait: «Ne bougez pas, laissez-le parler». De l´intérieur du bois, on voyait bien le déploiement de tous les soldats qui nous encerclaient. Gaudoin disait : «Kelouaz, je sais que tu es à l´intérieur et que tu m´écoutes ; c´est vrai je connais ton courage, tu es un héros mais il est inutile que tu tentes quoi que ce soit, tu n´as aucune chance de sortir, rends-toi avec tes hommes avant qu´il ne soit trop tard pour vous, vous allez tous périr.» On se demandait ce que l´ennemi allait tenter. C´est l´artillerie qui commença à nous canonner avec les 105 sans recul et le mortier 75 durant une heure. Nous avons trouvé un abri sous les gros rochers dans la forêt. Si Moussa voulait entreprendre une sortie, mais toute tentative était vouée à l´échec. Pendant qu´on méditait sur notre sort, nous entendions des soldats qui discutaient au-dessus de nous, sur le rocher. J´avais eu tout juste le temps d´alerter mes compagnons, nous nous étions mis à l´abri sous le rocher. Nous ayant repérés, ils nous lancèrent des grenades suivies de tirs; heureusement pour nous sans aucun effet. L´aviation est revenue composée de bombardiers B29 et T6 Morane. Ils nous lançaient des roquettes et des bombes incendiaires; l´artillerie commençait à nous pilonner, les soldats tiraient avec des mitrailleuses et des fusils mitrailleurs. On ne pouvait pas tenir, c´était infernal.
Si Moussa nous demanda de le suivre et de faire attention de ne pas nous brûler. On avait tenté de forcer le barrage de soldats du côté gauche, mais hélas, c´était impossible. Mais Si Moussa qui avait l´habitude de vivre ces moments forts nous remontait le moral en nous disant: «Tant qu´il y a de la vie, il y a de l´espoir.» Nous l´avions suivi pour foncer du côté droit. En allant de la droite vers la gauche, on traversait un couloir d´une distance de 150 mètres et une largeur de 60 mètres. On marchait en file indienne, on avançait difficilement, toute la forêt avait pris feu. On suffoquait, la fumée gênait notre respiration. De retour vers le côté droit, je m´étais aperçu que j´étais le dernier alors que le groupe de Si Brahim Khodja devait me suivre. Le feu et la fumée nous avaient séparés. Tous les arbres avaient pris feu, c´était l´enfer.
Si Moussa, Si Ali et Si Youcef avaient pris la décision de nous mettre à l´abri sous un rocher qui avait une forme de croissant vu de face où existait un remblai de terre large de 40 cm, creusé certainement par des animaux. La longueur de ce rocher est de 30 à 40 mètres, ce qui nous permettait de nous allonger sans être atteints par le feu. A notre gauche, on entendait des tirs, c´était le 6e groupe de Si Brahim Khodja qui a voulu percer. L´accrochage avait duré une quinzaine de minutes ; puis ce fut le silence. L´artillerie avait repris de nouveau, ajustant ses tirs sur le flanc gauche de la position du 6e groupe. L´accrochage avait repris de nouveau avec les soldats ennemis, nos compagnons avaient pensé qu´il fallait faire diversion pour faire croire à l´ennemi que nous allions faire la même chose du côté droit. Si Djelloul Benmiloud, le chef de section se trouvait avec le 6e groupe qui préféra mourir les armes à la main que d´être brûlé vif.
De notre abri on voyait le mouvement des soldats ennemis qui couraient dans tous les sens. Nous avions compris que le 6e groupe avait engagé la bataille avec courage. On entendait toutes les conversations des soldats français, on pouvait même les voir sans être vus. L´un deux disait: «Oh mon commandant, si j´avais le mortier, oh mon commandant.» Nous avions compris que nos compagnons avaient réussi à passer ; seule l´aviation avait pu les poursuivre. Il était une heure de l´après-midi, il faisait très chaud, le feu avait ravagé tous les arbres, heureusement qu´on était allongés par terre sous le rocher, les flammes commencaient à diminuer; les troncs d´arbres étaient devenus de la braise. On avait très soif, on étouffait. Si Moussa nous demanda de résister, de supporter et que bientôt nous allions sortir pour donner une leçon à ces soldats. Il voulait gagner du temps et tenir jusqu´au soir. La nuit est toujours avantageuse pour nous. Nous avions constaté, à maintes reprises, que les soldats français refusaient le combat de nuit parce que l´aviation ne pouvait pas intervenir par manque de visibilité. Ils avaient peur de tomber dans une embuscade à leur retour, comme ce fut le cas des embuscades de Menacer (Tizi Franco) le 9 janvier 1957 et Damous (Duplex) le 28 février 1957. Soudain je n´en croyais pas mes yeux, j´ai dit à mon compagnon Brakni Braham: «S´agit-il de soldats qui viennent vers nous?» Il m´a répondu: «Oui» m´affirmant ce que je voyais. J´avais fait passer le message à notre chef, Si Moussa, lui disant que les soldats français arrivaient directement sur moi, que devais-je faire? Comme nous étions allongés l´un derrière l´autre, nous pouvions transmettre sans qu´on puisse entendre nos messages, de bouche à oreille ; la réponse m´était revenue de Si Moussa qui me dit: «Fais très attention, ne bouge pas et ne tire que si tu vois qu´il n´y a pas d´autres solutions.» J´ai compris le message. Effectivement, seul Brakni Braham et moi étions en mesure de tirer car nous étions allongés du côté gauche d´où venaient les soldats français.
Dans la fumée, j´entendais la voix des soldats, l´un disant à l´autre en arabe: «Avance Ali, n´aie pas peur»; ils étaient à une trentaine de mètres de nous. Un moment fort de suspense, je me disais; c´est fini pour nous, nous allons être obligés de tirer sur eux et dévoiler notre position, ce qui permettra à leur commandement d´ordonner de nous canonner et à l´aviation de nous bombarder sans tenir compte de leurs soldats qui sont dans la forêt et qui risquent d´être touchés par leurs tirs. D´ailleurs, c´était toujours leur tactique; pourvu qu´ils tuent les fellagas et dans ce cas précis, ce n´étaient pas les soldats français c´étaient les goumiers ou les éléments du 29e bataillon de tirailleurs algériens (BTA). Je tenais beaucoup à mon petit carnet de route où j´écrivais les souvenirs de mes mémoires et de mes combats. J´avais creusé un peu la terre pour l´enfouir, me disant que je vais mourir et qu´il serait préférable de le cacher car dans le cas où l´ennemi le trouverait sur moi, il serait capable de prendre mon corps à Hadjout ex-Marengo, ma ville natale pour l´exhiber sur la place de la ville à la vue de la population civile en l´obligeant à me regarder dans l´état où je serais. L´ennemi ramènera ma mère et mon père pour me reconnaître et ensuite se vengera sur ma famille en la martyrisant; c´est la méthode qui avait été pratiquée pour le chahid Noufi si Abdelhak, qui est mort dans l´embuscade de Damous le 28 février 1957. L´ennemi avait pris son corps pour l´exposer sur la grande place de Cherchell et obliger sa mère à le reconnaître. Je ne voulais pas donner cette occasion à l´ennemi qui n´avait aucun respect pour les morts et j´ai enterré mon carnet.
Les soldats se rapprochaient de nous, Si Brakni Braham me disait: «Si Cherif je te fais mes adieux, nous allons mourir, rendez-vous au paradis Djenet El Ferdaousse.» Je lui avais répondu: «Incha Allah». Aucune peur de la mort, nous étions heureux, nous étions préparés pour faire face à l´ennemi qui avançait vers nous. Je m´étais mis à genoux, sur les coudes, ma mitraillette MAT 49 entre les mains. Brakni allongé, sa tête au niveau de ma ceinture, son fusil Garand bien serré contre son épaule, nous n´étions que deux seulement en position de pouvoir tirer. Nos autres compagnons étaient allongés sous les rochers, en position face au côté droit ne pouvant bouger au risque d´être brûlés ou de se faire repérer. Une deuxième fois j´avais passé le message à Si Moussa lui disant: «Ils se rapprochent de nous.» Il m´avait répondu comme lors du premier message: «Fais très attention, calme-toi, tu ne bouges pas, ne tire qu´à la dernière minute.» J´ai fait ma prière et j´ai dit à Braham: «Prépare-toi, ils arrivent.» On s´était regardés pour la dernière fois, le visage de Braham était rayonnant de joie; nous nous sommes toujours trouvés dans les situations difficiles, côte à côte, Braham et moi, nous étions de très bons copains. Il y avait de la fumée, les flammes avaient diminué, les soldats avançaient toujours, ils étaient à une vingtaine de mètres de nous, j´avais dit à Braham: «Tu les vois ?», il m´a répondu : «Oui», je lui avais dit : «C´est moi qui tire le premier», il m´a répondu : «D´accord». J´avais fait un petit effort pour être épaule contre épaule, mon doigt sur la gâchette, prêt à tirer. Je voyais les premiers soldats à 15 mètres, je pouvais tirer sur eux sans les recommandations et les consignes de Si Moussa, qui m´avait demandé de m´abstenir de tirer jusqu´à l´ultime seconde. Dieu m´a donné beaucoup de courage, j´étais calme et patient, ce qui était de même pour le valeureux Si Brakni Braham.
J´allais tirer, le premier soldat se trouvait à 10 mètres de moi, je ne sais pas ce qui est arrivé. Brusquement, le premier chef de file que j´allais mitrailler s´est tourné à gauche, continuant sa marche suivi par les autres soldats. Ils passaient devant nous, en file indienne, l´un derrière l´autre sans un regard vers nous. C´était une section du 29e BTA. Que s´était-il passé au juste? Dieu seul le sait, c´est un miracle, Dieu a aveuglé le soldat. Il se pourrait qu´il m´ait aperçu, prêt à tirer sur lui, il m´avait évité plutôt que d´être tué. Il se pourrait aussi que ce soit un sympathisant du FLN, même qu´il se trouve engagé dans l´armée française. D´ailleurs, il n´avait pas signalé notre présence à son commandant. A mon avis, c´était un miracle de Dieu qui n´avait cessé de nous assister et de nous montrer qu´il était avec les moudjahidine. Nous l´avions échappé belle, on n´en revenait pas.
Par la suite, nous avons compris que le commandement militaire français pensait que nous étions tous morts après les bombardements de l´artillerie, de l´aviation, en incendiant la forêt pour nous brûler vifs, c´était la déduction du commandant Gaudoin. Pour lui, les seuls survivants étaient ceux qui étaient sortis, notre 6e groupe, à leur tête Si Djelloul Benmiloud alors que nous étions encore plus de 60 moudjahidine à l´intérieur grâce à Dieu, nous avions supporté la chaleur, c´était un miracle de Dieu.
Le commandant du 29e BTA, Gaudoin, pour mieux s´assurer qu´il n´y avait plus de survivants, avait donné l´ordre à cette section de rentrer à l´intérieur du bois et de lui faire un compte-rendu. La section qui était passée à côté de nous était retournée au PC de commandement ; le premier soldat que j´allais abattre déclara : «Mon commandant, je n´ai rien à signaler», il lui répondit: «Vous n´avez rien à signaler, alors bon, maintenant allumez le feu partout en partant» ; ce qui voulait dire brûler le douar Nouari, ce qui était un acte de lâcheté de l´armée française contre les civils. Nous avions tous entendu cet ordre, on a décidé de sortir pour engager une bataille avec cette armée française qui s´attaquait à notre peuple sans défense et sans armes. Si Moussa nous demanda de nous lever, de le suivre en faisant attention au feu les troncs d´arbres étaient devenus de la braise. Ne pouvant supporter les actes criminels contre la population civile, Si Moussa nous demanda que maintenant on ne reculerait pas, nous attaquerons malgré le nombre de soldats français. J´avais déterré mon carnet que j´avais été récupérer puisque je suis toujours en vie.
Nous étions décidés à attaquer l´ennemi qui se trouvait à notre gauche. A notre arrivée à l´extrémité du bois, les soldats avaient disparu laissant derrière eux le douar en flammes. A l´intérieur du bois, nous avions découvert le corps d´un moudjahid étendu par terre; en s´approchant de lui, on s´était aperçu qu´il était en vie ; il avait ouvert les yeux, il nous a reconnu en disant: «Ah, c´est vous mes frères, les moudjahidine, Al hamdoulillah.» C´était le chef de groupe, Si Brahim Khodja de Blida. Nous l´avions déposé sur un brancard que nous avions fabriqué avec des branches d´arbres et de la toile de bâche qui servait à la protection de nos mitrailleuses contre la pluie. Plus loin, nous avions découvert les corps de nos deux autres frères de combat, c´étaient Cherfaoui Mohamed de Cherchell qui avait fait partie du groupe qui s´était évadé de la prison de Cherchell le 16 avril 1956 et Abbès Ahmed, agent de liaison, originaire de Mouzaïa. Tous les deux étaient morts, touchés par des roquettes. Nous étions étonnés de constater qu´ils avaient la gorge coupée et étaient achevés au couteau.
Les habitants du douar Nouari venaient nous saluer en courant ; ils nous connaissaient très bien, lors de nos passages fréquents dans cette région. Ils nous avaient apporté du pain, du lait, de l´eau et étaient heureux de nous voir vivants, sans s´occuper du feu qui ravageait leurs maisons. C´était émouvant. Nous, les moudjahidine, étions très sensibles à tout ce qui touche le peuple. Je ne pense pas qu´il existe un peuple aussi merveilleux, valeureux et courageux que le nôtre. Le peuple avait tout donné à notre révolution armée, surtout les gens de la montagne. Pour nous les moudjahidine, le peuple était nos yeux, notre guide, il nous avait hébergés, nourris, privant ses enfants pour nous. Souvent, quand on rentre dans un refuge, après une marche fatigante, sous la pluie et le froid, j´ai vu des habitants ôter des couvertures à leurs enfants pour nous couvrir. Notre peuple est un peuple moussebel, démuni mais fier, il a tout fait pour libérer son pays du joug colonial, il mérite l´admiration et la considération de certains peuples du monde. On s´était reposés après une prière, nous avions enterré à une centaine de mètres du lieu du combat, nos deux valeureux chouhada ; Si Mohamed Cherfaoui et Si Ahmed Abbès. Nous avons évacué à l´infirmerie régionale notre blessé, Si Brahim Khodja, dont nous avons appris par la suite qu´il a été fait prisonnier. Il se trouvait avec d´autres combattants blessés dans une infirmerie située non loin des lieux de Mesquer et Lalhouaoura dans la montagne du Zaccar. L´infirmerie avait été attaquée par des soldats français, sénégalais et martiniquais du poste de Arib. Les blessés ne pouvaient se défendre sans armes, seul le moudjahid de la première heure, Si Belahcen Kosa Belkebir Mohamed de Khemis Miliana, avait combattu avec sa mitraillette vaillamment et courageusement jusqu´à sa mort. Il y en avait d´autres qui avaient été lâchement assassinés. L´ennemi avait fait prisonnier également le docteur Souilamas Mohamed, et Khodja Youcef, tous les deux originaires de Cherchell ainsi que notre compagnon Brahim Khodja.
Après avoir enterré nos deux compagnons, nous sommes partis en saluant chaleureusement les habitants, du Douar Nouari. Notre arrivée était attendue avec impatience par les habitants du douar Bouharb et par nos compagnons de la section Si Kaddour et du courageux groupe de Si Brahim Khodja qui avait pu sortir victorieux de l´encerclement. Nous avions grand besoin de repos; les habitants nous avaient préparé un repas. Nous étions tous réunis autour d´un feu lorsque Si Moussa donna la parole à Si Kaddour pour nous raconter : «Le matin quand vous m´aviez placé avec ma section au djebel Lemri, je voyais en face une force importante de soldats qui vous encerclait et par les soldats qui se sont postés devant moi. J´ai hésité à attaquer pour plusieurs raisons: premièrement il était tôt ; deuxièmement ils étaient trop nombreux et ils sont partis tout de suite pour vous encercler.»
Si Moussa l´avait félicité pour cette
décision sage.
Si Ali, l´adjoint du groupe de Si Brahim Khodja nous avait raconté comment ils s´étaient sortis de l´encerclement, disant : «Quand le feu s´est déclaré dans le bois et nous a séparés, Si Brahim Khodja nous disait que Si Moussa et nos compagnons vont essayer de sortir du côté droit, à nous de tenter la sortie du côté gauche. Nous nous sommes engagés dans le combat pendant un certain temps; ils étaient nombreux. Nous avons abattu et blessé plusieurs soldats. Nous avons décidé de prendre Si Brahim Khodja qui s´est blessé grièvement et de retourner dans les bois, Si Brahim Khodja n´a pas voulu que nous restions à l´intérieur, il demande à Si Ali (Fouka Marine), tiens, prends, ma mitraillette MAT 49, tu dois encore tenter de sortir avec le groupe, il faut que vous forciez ce mur, il faut le franchir pour faire diversion, allez courage, ne vous inquiétez pas pour moi, je suis heureux, je vais mourir en martyr, allez partez et que Dieu vous protège.» Si Ali continue en disant que puisque Si Djelloul Benmiloud, chef de section, était parmi nous, c´est à lui qu´échoit le commandement du groupe. Si Djelloul Benmiloud enchaîna: «Lors de notre première tentative, j´ai repéré par quelle direction nous devions attaquer pour sortir. J´ai donné ordre de me suivre en courant, tirant sans regarder derrière nous et c´est ainsi que nous avons fait une brèche au milieu des soldats qui fuyaient de panique, nous laissant le passage libre. Nous avons tué et blessé plusieurs dizaines de soldats ; l´aviation nous a poursuivis, mais grâce à Dieu, nous avons pu nous échapper dans la montagne.» Après les récits de nos compagnons, on peut dire que c´est grâce au groupe de Si Brahim Khodja que nous sommes en vie. Pour l´état-major français, nous étions tous morts suite aux bombardements ou brûlés par le feu, seule une dizaine de fellagas a pu s´en sortir. Il pensait qu´il était arrivé à liquider la katiba El Hamdania ; qu´il s´est vengé du commando Si Zoubir, qui lui a infligé des défaites inoubliables lors de la bataille de Sidi Mohand Aklouche du 26 avril 1957, et celle du Zaccar (Miliana) du 4 mai 1957.
Le bilan de cette journée était plus que positif, il y avait eu plusieurs morts et blessés dans les rangs de l´ennemi. Quant à nous, nous déplorions la mort de deux chouhada, Si Mohamed Cherfaoui et Si Ahmed Abbès ainsi qu´un blessé grave Si Brahim Khodja.
Avant de quitter le douar Bouharb, les habitants étaient autour de nous, à nous saluer. Si Ali de Bakalem, adjoint de compagnie, nous avait demandé d´entonner ensemble des chants patriotiques. Nous avons terminé par «Ikhouani la tansaou chouhada». Mes frères, n´oubliez jamais nos martyrs qui se sont sacrifiés pour la liberté de l´Algérie.
Gloire à nos martyrs.

De Quoi j'me Mêle

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